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I.

M. Franz Palacky est né le 14 juin 1798 à Hodslawice, petit village de Moravie, non loin de cette ville de Fulnek qui était, il y a cent ans, le foyer principal de la mystique communauté du comte Zinzendorf. Les frères moraves sont un peu dispersés à l’heure qu’il est; le séjour qu’ils avaient choisi conserve encore ce caractère de solitude propice aux méditations pieuses et aux résolutions opiniâtres. Enfermées dans leurs montagnes, la Moravie et la Bohême devaient nécessairement avoir une destinée à part au sein de l’Allemagne; le village d’Hodslawice présente en résumé la physionomie de la contrée tout entière. Quel calme ! quel recueillement ! que de souvenirs historiques ou de poétiques légendes sur ces montagnes et ces châteaux en ruines ! De Fulnek aux vieilles tours de Titschein, et de Titschein aux pentes escarpées du mont Radoscht, le voyageur qui vient de quitter Vienne s’aperçoit qu’il est bien loin de l’Allemagne. C’est là que grandit le jeune Palacky, au milieu des paysans bohèmes, et n’entendant autour de lui que les sons de la langue natale; son père occupait dans le village un modeste emploi de maître d’école.

Quand il atteignit l’âge de neuf ans et que son éducation commença, il fallut bien lui enseigner autre chose que cette langue tchèque, considérée encore à ce moment comme un patois rustique. Il y avait à quelques lieues de là, entre Titschein et Fulnek, un établissement pédagogique fondé par une personne pieuse et bienfaisante, par Mme la comtesse Truchsess : c’est là que le petit paysan d’Hodslawice alla apprendre l’allemand. Il y passa deux années. La guerre vint bientôt retentir jusque dans ces solitaires vallées de la Bohème. Arraché à ses fonctions par le péril commun, le père de M. Palacky eut maintes fois occasion de rendre de patriotiques services à l’armée autrichienne pendant la campagne de 1809. Ce fut aussi une circonstance heureuse dont profita la destinée du jeune Franz. La famille de M. Palacky était pauvre, et sans ces dures nécessités de la guerre qui rapprochent violemment les hommes, il est probable que l’indigence, l’habitude, l’ignorance de ses forces, eussent retenu dans l’horizon du village natal le futur historien des Ottocar. Par son zèle en ces conjonctures suprêmes, le maître d’école d’Hodslawice se fit de nombreux amis, et quelques années après, grâce à ces protections, Franz Palacky commençait des études plus sérieuses au lycée impérial de Presbourg. Quoique bien jeune encore, il semblait avoir conscience de son rôle à venir. Au milieu de ses