Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montait, ou d’une des vingt chamelles à lait qui après sa mort figurèrent dans l’inventaire de sa succession, à côté des cent brebis, des vingt-deux chevaux, des cinq mules et des deux ânes qu’il possédait. Comme on le pense bien, je ne me porte pas garant de l’authenticité d’une telle origine; tout ce que je puis dire, c’est qu’un chameau porteur du mackmal, ayant, il y a quelques années, éprouvé un accident à son départ de Damas et étant mort des suites de cet accident, fut enterré dévotement dans la cour même du séraskiérat, à l’ombre d’un grand sycomore, et que son tombeau, qui est l’objet du respect des musulmans, s’y voit encore. Derrière le cercle des fonctionnaires, et chacun en ordre de bataille, se rangent les divers corps destinés à former l’escorte de la caravane : ici les bachi-bozoucks, ou cavaliers irréguliers, avec leurs costumes différens, mais tous d’un pittoresque extraordinaire; là les Bédouins Rouallahs, armés de leur lance, la tête couverte d’un châle à larges raies rouges et jaunes, et montés sur des chameaux à la taille svelte et à la marche rapide et cadencée. Plus loin, quatre obusiers de montagne, traînés par des chameaux, représentent toute l’artillerie de la caravane, artillerie destinée plutôt à donner le soir le signal du repos, et le matin le signal du départ, qu’à protéger les pèlerins, car on s’assure par des sommes d’argent les dispositions pacifiques des Arabes du désert. Des bannières effilées, vertes, rouges, jaunes, blanches, flottent ça et là, en grand nombre, au-dessus du peuple et des soldats. Voilà pour ce qui est du coup d’œil, et ce serait le sujet d’un tableau comme Decamps en sait faire, comme Marilhat, de si regrettable mémoire, les faisait si bien. Mais ce que personne ne pourrait rendre, c’est l’ensemble du bruit des voix chantant des cantiques, des cris rauques et gutturaux des hommes, des femmes, des enfans, des roulemens que battent sur de grands tambours des espèces de timbaliers, de la voix glapissante des chameaux, du piétinement des chevaux et des détonations de nombreux fusils maladroits partant sans ordre des chefs, ou même à l’insu de ceux qui les portent.

Dès la veille, le drapeau du prophète a été placé dans une salle particulière où un poste d’honneur le garde, où des lampes l’entourent, où des aromates brûlent sans discontinuer. Quand l’heure du départ est au moment de sonner, il est retiré du sanctuaire par le séraskier lui-même. Alors le canon tonne, la fusillade éclate, le peuple crie, les tambours battent plus fort; la foule s’émeut, se rapproche, se serre. C’est le moment où le drapeau doit être remis aux mains du mouchir désigné par le sultan pour commander la caravane. Le mouchir, après s’être avancé, s’incline avec respect: mais avant de se saisir de la bannière sainte, il passe ses mains à plat sur l’étoffe, puis se frotte le visage de ses mains, comme si, par leur