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Mecque et depuis La Mecque jusqu’à Damas, tant que durait la marche, il ne cessait d’imprimer à la partie de son corps comprise entre les hanches et le sommet île la tête un mouvement circulaire de droite à gauche, mouvement qui pouvait bien avoir trois pieds de diamètre au moins : c’était à donner le vertige à ceux qui le regardaient passer. Au moment où la caravane se préparait à partir, cet homme arrivait grimpé sur sa monture, et, sans rien dire à qui que ce fût, allait, comme d’autorité, prendre dans le cortège la place qui lui convenait. Pendant toute la route, perdu dans l’extase de ses mouvemens vertigineux, non-seulement il n’adressait la parole à personne, mais encore il refusait obstinément de répondre aux questions qu’on lui faisait. Au retour, à peine rentré à Damas, il disparaissait pour ne reparaître que l’année suivante. Un jour, la caravane partit sans qu’il se fût montré, et depuis on n’a plus entendu parler de lui.

Mahomet, qui avait vu la guerre lui fermer le chemin de la Mecque, avait dû admettre la possibilité du retour des mêmes empêchemens, et pour ces cas particuliers il avait dispensé les croyans de l’obligation du pèlerinage, à la charge par eux de remplacer la visite de la kaba par des offrandes qu’on devait y envoyer. La sagesse de cette prévision a été appréciée plusieurs fois dans le cours des siècles; elle ie fut notamment en l’an 319 de l’hégire (931 de Jésus-Christ). Des hérétiques victorieux, appelés Carmathes, attaquèrent les pèlerins, en tuèrent plus de vingt mille en une seule année, et à partir de ce moment jusqu’à l’an 339 de l’hégire, bien que, conformément à la loi, chacun eût pu rester chez soi en tout repos de conscience au moyen de quelques présens envoyés à la kaba, la caravane des pèlerins ne s’en mit pas moins régulièrement en route chaque année, s’arrêtant toutefois à Jérusalem, parce qu’il lui était impossible d’aller au-delà. Jérusalem, la ville des anciens prophètes, est la troisième des villes saintes de l’islamisme, ce qui explique la dévotion particulière dont elle fut l’objet à cette époque. Ne pouvant le plus, les musulmans se bornaient donc à faire le moins, bien à contre-cœur sans doute. Cette conduite, il faut le dire, n’était pas en désaccord avec ce qui se pratiquait dans les premiers temps de la prédication du Coran. Les premiers sectateurs du prophète se tournaient vers Jérusalem pour prier; ils y étaient du reste autorisés par ce verset du Coran : « Dieu est partout; de quelque côté que vous vous tourniez, vous rencontrez sa face. » Plus tard Mahomet, voyant que la prière se dirigeait avec une persévérance trop marquée vers les sanctuaires de David et de Salomon et vers le calvaire du Christ, s’empressa, par un nouveau verset, de réglementer la chose : * Nous t’avons vu tourner ton visage de tous les côtés du ciel, dit-il; nous voulons maintenant que tu le tournes