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grand nombre de docteurs musulmans; toutefois il s’est trouvé parmi les casuistes orientaux des gens qui n’étaient pas de si facile composition. Comme l’esprit arabe veut avoir raison de tout, il épilogue sur tout, au risque de se perdre dans les dédales de la plus vague et de la plus étrange subtilité. Ainsi donc on a discuté à perte de vue sur ce qu’on devait entendre par les mots « être en état de faire le pèlerinage. » Les uns ont jugé que le pèlerinage était d’obligation pour les gens se trouvant en possession des moyens de se procurer une monture et les provisions de bouche nécessaires; mais le Coran, qui a dit : « Prenez des provisions pour la route, » ayant ajouté : « La meilleure des provisions est la piété, » l’on est parti de là pour conclure que quiconque n’était pas arrivé à un certain degré de piété devait se dispenser de faire le pèlerinage, et ce n’est assurément pas ce que Mahomet avait voulu dire. Puis d’autres sont venus, qui ont divisé les provisions à faire en deux catégories bien distinctes, à savoir les provisions matérielles et les provisions immatérielles, si l’on peut parler ainsi; « car, disaient-ils, si les provisions matérielles sont nécessaires pour le transport du corps jusqu’à La Mecque, les provisions spirituelles servent pour le voyage de l’âme vers l’autre vie, voyage dont le pèlerinage n’est que le symbole ici-bas. »

Restait à définir, car que ne définit pas l’esprit oriental? Quelles étaient les meilleures provisions à faire sous le rapport mystique. Le Coran avait cependant dit déjà, comme on vient de le voir, que la piété était la meilleure des provisions ; mais quelle forme sensible devait affecter la piété? Tel était l’objet des recherches. Le croirait-on? il fut reconnu que la meilleure des provisions spirituelles était l’abstinence, pratiquée aussi rigoureusement que possible. Le Coran n’était pas allé jusque-là, car il s’était borné à préciser quelques obligations de s’abstenir pendant la durée du pèlerinage, obligations qui n’avaient rien d’excessif, et au nombre desquelles figurait la chasse. Il est vrai qu’il permettait la pêche; mais permettre la pêche aux pèlerins arrivant par le désert, cela avait tout l’air d’une plaisanterie. Il ne faut cependant pas s’y tromper : Mahomet ne manquait pas de prévoyance en agissant ainsi, car à côté des pèlerins voyageant par caravanes, il y avait les pèlerins voyageant par mer. Or laisser aux premiers la faculté de chasser, c’était non-seulement les rendre moins attentifs à faire les approvisionnemens indispensables pour la route par l’espoir des produits qu’ils pouvaient retirer de la chasse, mais c’était encore exposer les caravanes à des désordres qui auraient produit des irrégularités, des retards même dans leur marche. Quant aux gens qui voyageaient par mer, il n’y avait aucun inconvénient à les laisser pêcher; la chasse d’ailleurs donne des distractions à l’esprit, tandis que la méditation