Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tranquillement sous les pieds des chevaux, pour ne pas orner le triomphe des Romains.

Une scène de suicide forme aussi le sujet du célèbre groupe de la villa Ludovisi. Ce groupe, qu’on avait baptisé des noms d’Aria et Pœtus quand on voulait retrouver partout des sujets romains, représente certainement un chef gaulois qui, plutôt que de s’en remettre à la merci du vainqueur, après avoir tué sa femme, s’est frappé lui-même du coup mortel. Le type du visage, la chevelure, tout est gaulois. La manière même dont s’accomplit l’immolation volontaire montre que ce n’est pas un Romain que nous avons sous les yeux. Un Romain se tuait plus simplement, avec moins de fracas; il se jetait sur son épée, qu’en général il faisait tenir par un esclave ou par un ami. Malgré son mépris pour la mort, un Romain répugnait le plus souvent à se plonger lui-même un fer dans le sein. Il fallait la stoïque énergie de Caton ou la légèreté épicurienne d’Othon pour accomplir froidement et d’une main sûre l’acte libérateur. Le principal personnage du groupe Ludovisi conserve en ce moment suprême quelque chose de triomphant et presque de théâtral. Soulevant d’une main sa femme affaissée sous la blessure qu’il lui a faite, de l’autre il enfonce son épée dans sa poitrine. La tête haute et tournée vers ses vainqueurs, il semble les braver du dernier regard, et répéter le mot de sa race : un Gaulois ne craint qu’une chose, c’est que le ciel ne me tombe sur sa tête !

C’est encore un épisode des guerres contre les Gaulois qui a sansdoute inspiré l’auteur de la statue connue sous le nom du Gladiateur mourant, dans laquelle on a cessé de voir un gladiateur. En effet, rien ne rappelle l’amphithéâtre, et tout indique le champ de bataille. Mortellement blessé, le chef gaulois va expirer. Seul et tête à tête avec la mort, il s’appuie encore sur sa main, attendant sans lutte inutile, sans lâche abattement, le moment où il va tomber tout à fait. On n’a jamais mieux montré un homme absorbé dans l’opération de mourir; on ne saurait mieux donner le sentiment de la vie qui s’en va avec le sang. Ici rien de tumultueux, rien de dramatique : un Romain ne finirait pas autrement que ce Gaulois; c’est la mort sans témoins, derrière un rocher ou un buisson, qui est si souvent la mort du soldat. Par un hasard singulier, deux de ces monumens qui représentent les guerres des Gaulois sont au Capitole[1].

L’expédition des Gaulois avait mis le théâtre de la guerre dans Rome même; cela n’était pas arrivé depuis Romulus, et n’arrivera

  1. On y montre aussi de prétendues oies en bronze, images, dit-on, de celles qui éveillèrent les Romains et les avertirent de la présence de l’ennemi. Je ne me permettrai pas de faire un calembour, surtout au Capitole, mais véritablement ces oies ressemblent beaucoup à des canards.