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qui ne lui est plus nécessaire, qui même lui est devenu incommode, et, débarrassé de tout déguisement, il se montre tel qu’il a toujours été en réalité, mais seulement plus grand[1] . On voit à quelles inextricables difficultés l’évolution conduisait ses partisans, quelque ferme et droite que fût leur intelligence.

Au milieu des erreurs où l’entraînaient des idées préconçues, Réaumur avait néanmoins démêlé et presque bien apprécié un fait d’une haute importance. Pour lui, un papillon, sous sa forme de chenille, est un enfant; c’est embryon qu’il fallait dire. Pour arriver à l’âge adulte, l’enfant n’a plus qu’à croître et à se développer; pour devenir papillon, la chenille a autre chose à faire. Dans les métamorphoses qui conduisent à l’état parfait, tout rappelle ces phénomènes embryogéniques dont il a été question dans une étude précédente[2]. On les constate pendant toute la durée de l’état de larve, car la chenille possède alors plusieurs de ces organes temporaires dont la seule existence trahit un organisme en voie de formation ; on les voit redoubler d’activité aux approches de la première métamorphose et dans les premiers temps qui la suivent. Pour les insectes en général, pour les papillons en particulier, c’est là un vrai moment de crise d’où l’organisme ne sort que refondu pour ainsi dire, et construit sur un plan non pas opposé, mais très différent de celui qui précède. Insister ici sur ce fait serait bien inutile; nous renvoyons le lecteur aux premières pages de cette étude et, mieux encore, aux planches de Hérold et de Newport. En embrassant d’un coup d’œil les changemens subis même par les centres nerveux, en voyant presque d’une heure à l’autre les ganglions se fondre ou se développer, ils ne pourront que se reporter par la pensée aux temps les plus tumultueux de la transformation des embryons de mammifère.

Tant qu’il est à l’état de larve, l’insecte, quel qu’il soit, ne fait guère que croître comme l’enfant, auquel Réaumur le compare; mais, à ce point de vue même, il présente un caractère éminemment embryogénique, savoir la rapidité de cet accroissement. C’est là en effet une loi commune à tous les vivipares, que l’augmentation de volume et de poids, d’abord extrêmement rapide, se ralentisse progressivement à mesure que l’organisme se rapproche du type qu’il doit atteindre. L’embryon humain, déjà bien distinct vers la troisième semaine, est long de 6,75 millimètres et pèse environ 12 centigrammes. En moins de trois semaines, il double de longueur et pèse sept ou huit fois plus. Vers la huitième semaine, c’est-à-dire trente

  1. Mémoires pour servir à l’histoire des insectes. Ces idées sont surtout très nettement formulées dans le huitième mémoire du t. Ier ; je n’ai pour ainsi dire fait que transcrire les propres expressions de l’auteur.
  2. Voyez la Revue du 1er avril 1855.