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sa marche et à lui permettre de se cramponner sur la peau glissante, sur les ouïes des poissons. Il a acquis en outre quatre pattes natatoires placées en arrière, et une queue ou abdomen comparable à celui de tant de crustacés. Jusqu’ici donc la métamorphose a tendu à compléter de plus en plus l’organisme : elle va maintenant démolir son propre ouvrage. Prête à devenir adulte, la femelle grossit énormément; deux de ses appendices antérieurs très développés, courbés en demi-cercle et réunis à leur extrémité, qui se termine en bouton, s’enfoncent dans les tissus de l’animal qu’elle exploite en parasite et la rivent sur place; deux autres, réduits à de simples crochets, fixent la bouche changée en un véritable suçoir; tous les autres appendices disparaissent; le corps se gonfle, se déforme, et n’est bientôt plus qu’une gaîne irrégulière renfermant des œufs et un estomac. En même temps le mâle, un peu moins contrefait, mais resté deux ou trois cents fois plus petit que sa femelle, s’est cramponné sur cette dernière, et semble vivre à ses dépens, comme elle-même vit aux dépens du poisson. Chez l’un et chez l’autre, les organes des sens ont disparu avec ceux du mouvement, et, ramenés à une vie purement végétative, tous deux, bien probablement sans même s’en douter, ne sont plus que des machines à reproduction.

Parmi les groupes qui composent le sous-embranchement des vers, les uns sont franchement ovipares, d’autres présentent à un haut degré les phénomènes de géagenèse qui feront le sujet d’une étude spéciale. A vrai dire, la classe seule des annélides se rattache à l’ordre de faits dont il s’agit ici. Or, dans mes Souvenirs des côtes de Sicile et de la baie de Biscaye[1], j’ai suffisamment décrit les métamorphoses des térébelles d’après les travaux de M. Edwards, celles des hermelles d’après mes propres recherches. Sans revenir sur les détails, je me bornerai donc à rappeler que chez elles l’organisme subit également des changemens profonds, en harmonie avec des genres de vie divers. D’abord animaux voyageurs, ces espèces deviennent plus tard sédentaires, et s’enferment dans des tubes d’où elles ne sauraient sortir. A certains égards, il y a là aussi un retour en arrière, car les facultés de locomotion sont un des attributs les plus caractéristiques de l’animal, et ne sauraient s’amoindrir sans qu’il en résulte une certaine déchéance. Cependant, si à ce point de vue hermelles et térébelles se dégradent par le fait du développement, elles se perfectionnent sous d’autres rapports, et en somme elles gagnent au change. La métamorphose se montre ici sous un jour tout nouveau, tendant d’un côté à abaisser, de l’autre

  1. Revue des Deux Mondes, livraisons du 1er janvier 1847 et du 15 janvier 1850.