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la respiration est aquatique et ressemble à celle des poissons.

Mais les modifications de l’appareil respiratoire ne s’arrêtent pas là. Pour devenir grenouille, le têtard doit perdre ces secondes branchies comme il a perdu les premières, et les remplacer cette fois par des poumons. Aussi au moment voulu voit-on se reproduire des faits analogues aux précédens. Les houppes vasculaires logées sous la peau s’atrophient progressivement, et en revanche les poumons, jusque-là pleins et rudimentaires, s’ouvrent et grandissent. L’appareil circulatoire marche partout du même pas. Les gros troncs branchiaux diminuent de calibre; les ramuscules pulmonaires grossissent et multiplient leurs ramifications. Plus tard l’appareil branchial est atteint jusque dans ses parties solides; les cartilages, les os se résorbent peu à peu. Enfin le changement est complet : il ne reste plus trace de branchies. Cette fois il n’y a pas eu seulement transformation, substitution; il y a eu vraiment métamorphose, car la respiration est devenue aérienne d’aquatique qu’elle était, et l’animal, à parler presque rigoureusement, est passé de l’état de poisson à celui de reptile.

En prenant chaque appareil en particulier, en descendant dans les détails, nous aurions à signaler bien d’autres faits curieux dans le développement de nos grenouilles. Nous verrions, par exemple, les habitudes herbivores faire place aux instincts carnassiers, et l’appareil digestif tout entier se modifier en vue du nouveau régime. La bouche s’agrandit et se fend; le petit bec ou mieux peut-être les lèvres cornées sont remplacées par des dents implantées non sur les mâchoires, mais à la voûte du palais; le tube intestinal, d’abord très long et presque cylindrique, se raccourcit et se renfle par places; l’abdomen, d’abord globuleux, devient svelte et efflanqué, etc. Cependant la métamorphose se montre dans toute son étendue et peut être plus facilement suivie dans l’appareil locomoteur. Ici nous voudrions pouvoir reproduire tous les détails recueillis par Dugès, et dont la nature de ce travail nous permet de donner seulement une idée générale[1].

Pas plus au dedans qu’au dehors le têtard n’a d’abord le moindre indice de membres. Il se meut comme un poisson, uniquement à l’aide de sa queue[2], organe considérable plus long, plus large

  1. Recherches sur l’astrologie et la myologie des Batraciens à leurs différens âges, 1834. Ce mémoire, œuvre d’un homme éminent enlevé par une mort prématurée, a remporté le grand prix de physiologie proposé par l’Académie des sciences.
  2. Les nageoires des poissons leur servent bien plus à régler, à diriger la natation qu’à la produire. Tout au plus leur donnent-ils ce dernier emploi lorsqu’il s’agit de mouvemens très lents, ou quand ils veulent rester stationnaires. Dès qu’ils veulent se mouvoir un peu rapidement, c’est la queue qui entre en jeu. Il suffit, pour se convaincre de ce fait, d’observer pendant quelques instans le manège des poissons rouges enfermés dans un bocal.