Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dehors se filer de jolis petits cocons de couleur jaune. Elles passent l’hiver dans ces abris sans changer de forme, mais au printemps elles deviennent autant de nymphes, et peu de jours après reparaissent à l’état d’insectes ailés. Vingt ou vingt-cinq, par conséquent la moitié de ceux-ci, sont des femelles qui ne tardent pas à sacrifier autant de chenilles à l’avenir de leur progéniture. On comprend dès lors combien de piérides sont détruites par les microgaster. Réaumur estime que cette destruction est au moins des neuf dixièmes, et il y a quelques années, de deux cents chenilles recueillies par M. Blanchard, trois seulement donnèrent des papillons : les cent quatre-vingt-dix-sept autres avaient été mangées par le terrible ichneumonien[1] . On voit que les maraîchers de Paris devraient avoir pour cet insecte tout autant de reconnaissance que les Égyptiens en accordaient au mammifère qui a donné son nom à la famille.

Revenons maintenant à l’ordre des névroptères, et choisissons pour exemple un groupe dont les diverses espèces, grâce à l’apparente brièveté de leur vie, ont de tout temps appelé l’attention des philosophes, des naturalistes et des littérateurs eux-mêmes[2]. Esquissons rapidement, d’après Réaumur, l’histoire de l’éphémère à ailes blanches (ephemera albipennis). Si, à l’exemple de notre illustre guide, on côtoie en bateau les bords de la Marne ou de la Seine en amont de Paris, on voit que les berges au-dessous du niveau de l’eau sont criblées de petits trous ronds, de trois à quatre millimètres de large, et ordinairement groupés deux à deux. Ces trous sont l’entrée et la sortie d’autant de galeries en forme d’anse, qui s’enfoncent de six à huit centimètres dans le sol, et sont habitées par les larves de notre éphémère. Ces larves elles-mêmes ont environ deux centimètres de longueur. Leur tête porte deux yeux composés très grands, une paire de fortes mandibules qui leur servent à fouir, et des mâchoires

  1. Dictionnaire universel d’histoire naturelle, article ichneumoniens.
  2. Aristote le premier a parlé des éphémères dans un passage célèbre où la vérité se mêle aux idées fausses qui avaient cours de son temps, et que nos lecteurs liront peut-être avec intérêt. « Près du fleuve Hypanis, qui se jette dans le Bosphore, dit l’auteur du Traité des animaux, on voit pendant le solstice des follicules plus grands qu’un grain de raisin, qui, en se rompant, donnent naissance à un animal muni de quatre ailes et de quatre pattes. Ces êtres vivent et volent jusqu’au soir, s’affaiblissent lorsque le soleil incline vers l’occident, et meurent quand il se couche, leur vie n’ayant duré qu’un jour; de là on les nomme éphémères (littéralement qui dure un jour). » Pline, Ælien, n’ont fait que répéter Aristote. Au moyen âge, Scaliger fit connaître ce fait, qu’on trouvait des éphémères en France sur les bords de la Garonne, où leur abondance à certaines époques leur avait valu le nom de manne des poissons. Clusius les découvrit ensuite en Hollande, et décrivit leur larve. Plus tard, Swammerdam, Réaumur, etc., de nos jours MM. Kirby, Siebold, Léon Dufour, Burmeister, Pictet, etc., les ont étudiées avec un soin extrême, et on peut dire que l’histoire de ces insectes est aujourd’hui une des mieux connues.