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les premiers n’ont qu’à grandir en se prêtant à des modifications équivalentes à celles que nous avons trouvées chez les mammifères et chez l’homme lui-même; les seconds doivent se modifier parfois presque du tout au tout. Après avoir eu dans l’œuf leur part de transformations, ceux-ci doivent, hors de l’œuf, subir des métamorphoses.

Afin de fixer les idées et de nous donner un terme de comparaison, voyons d’abord en quoi consiste ce phénomène chez les insectes où il a été le plus anciennement connu, le plus complètement étudié. Prenons pour exemple les lépidoptères, vulgairement appelés les papillons, et choisissons parmi eux une des espèces les plus communes, le papillon, ou mieux la piéride du chou (pieris brassicœ), dont nous pourrons faire l’histoire à peu près complète en réunissant les faits recueillis par divers observateurs.

Tous nos lecteurs ont rencontré dans les jardins, dans la campagne, ces papillons à corps noir, aux antennes annelées de blanc, aux ailes blanches en dessus, jaunâtres en dessous, marquées de taches noires dont le nombre et la position distinguent les sexes. Souvent ils ont vu, vers les mois d’août et de septembre, ces insectes voltiger deux à deux, tantôt se poursuivant tour à tour, tantôt comme tourbillonnant l’un autour de l’autre et paraissant se combattre. Peut-être alors ont-ils cru à une véritable lutte. Il n’en est rien pourtant; ce sont au contraire les préludes d’amours que Réaumur a suivis, décrits et figurés dans toutes leurs phases avec ce talent d’observation qui allait chez lui jusqu’au génie[1]. Le mâle est pressant; la femelle résiste et fait la coquette. Elle finit par se poser; mais ses ailes relevées, étroitement appliquées l’une à l’autre, recouvrent le corps tout entier. Le mâle voltige quelque temps autour d’elle, puis, comme s’il avait pris son parti, il part et s’éloigne parfois jusqu’à perte de vue; mais ce n’est évidemment qu’une feinte. Dès que la femelle entr’ouvre ses ailes et découvre son corsage, on le voit revenir à tire d’ailes, souvent en vain, car à son approche les ailes se rejoignent, et les agaceries, les poursuites, les refus, les départs simulés recommencent de plus belle. Ces jeux durent parfois plus d’une demi-heure, ce qui est beaucoup dans une vie de papillon. Quand ils ont pris fin, la femelle va déposer sur quelque feuille de chou les œufs au nombre de plusieurs centaines qu’elle porte dans son sein. Ces œufs ressemblent à de petites pyramides trois ou quatre fois aussi hautes que larges, creusées de cannelures profondes, que séparent des côtes arrondies et finement guillochées. La piéride les

  1. Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, t. 1, 1734. Cet ouvrage, en six gros volumes in-4o, accompagnés d’un nombre immense de planches, est un véritable monument resté jusqu’à ce jour sans égal dans son genre.