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vous dire de mourir jusqu'au dernier plutôt que de vous rendre! » Sa tête tombe aussitôt. Deux fois encore le combat et la sommation sont renouvelés; les rangs de nos braves soldats sont bien éclaircis, mais pas un d'eux n'hésite. Lassé par cette résistance, l'émir, qui a déjà perdu autant de monde qu'il avait tué de Français le matin, a recours à un moyen qui lui paraît plus sûr. Il s'éloigne hors de la portée des carabines, et enveloppe le marabout d'un cordon de postes qui ferme toutes les issues. Les chasseurs sont sans eau et sans vivres : ils restèrent ainsi trois jours ! Enfin le 26 septembre au matin, Géreaux remarqua que l'ennemi semblait s'être relâché de sa vigilance; d'ailleurs les hommes étaient épuisés : ils aimaient mieux mourir en combattant que de succomber à la faim et à la soif. Géreaux s'élance avec sa petite troupe, — soixante-dix hommes portant une dizaine de blessés, — fait une trouée à la baïonnette au travers de la ligne ennemie, et s'achemine sur la crête d'une chaîne de collines qui le ramène vers Djemaa. L'audace de ce mouvement frappe les Arabes de stupeur; ils redoutent le feu des grosses carabines, et se bornent à suivre les Français à distance. Nos soldats touchent au port; ils aperçoivent déjà l'enceinte de la ville, lorsque quelques-uns découvrent un filet d'eau au fond du ravin : tous se jettent aussitôt sur la source... Ceux qui ont connu les souffrances de la soif savent qu'il est souvent impossible de résister à ce besoin impérieux. En vain Géreaux s'efforce de retenir sa compagnie sur la crête qu'il n'avait cessé d'occuper; les officiers restent seuls et sont forcés de descendre. Les Arabes saisissent ce moment avec un cruel à-propos : ils s'emparent de la hauteur, écrasent d'un feu plongeant les malheureux chasseurs. Géreaux cependant essaie de continuer la retraite : les débris de sa troupe se remettent en marche, échelonnés en trois petits carrés; mais les Arabes sont revenus plus nombreux : le lieutenant Chappedelaine, qui n'avait cessé de seconder son héroïque chef, est le premier atteint; Géreaux tombe à son tour pour ne plus se relever : tout est anéanti. De toute la colonne qui avait quitté Djemaa le 21, douze hommes seulement furent recueillis par une sortie de la petite garnison qu'y avait laissée Montagnac<ref> Parmi eux, le caporal Lavaissière mérite de ne pas être oublié. Seul, il avait pu rapporter ses armes.<<ref>. Cette lutte terrible suffit, malgré sa funeste issue, pour illustrer à jamais le nom de Géreaux et le numéro du 8e bataillon.

Nous pourrions raconter d'autres épisodes moins sombres. En suivant les chasseurs dans leur carrière africaine, nous les aurions rencontrés à Isly, nous les retrouverions à Zaatcha et dans bien d'autres journées glorieuses. Agiles, prompts dans l'action, ardens dans les attaques, solides dans les retraites, marcheurs infatigables, profitant