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se perchent pour dormir entre deux serines, don Cicillo s’était glissé entre les deux femmes de chambre. Il arriva ainsi dans une douce moiteur à Terracine. Le meilleur, pour ne pas dire le seul hôtel de la ville, est l’Albergo Reale, qui n’a de royal que son titre. On y servit aux voyageurs deux poules d’eau desséchées et de la pasta-frolla. L’hôtelier s’excusa d’offrir à leurs excellences un souper si maigre, en faisant une pompeuse énumération de tout ce qu’il aurait pu leur servir, si elles fussent arrivées deux heures plus tôt. Par malheur, trois jeunes gens romains qui allaient à Gaëte avaient absorbé les provisions à leur dîner. Don Cicillo mangea de bon appétit le repas mesquin éclairé par les beaux yeux d’Elena. Son orgueil chatouillé jouissait enfin des privilèges du voyage en tête-à-tête, et son cœur se gonfla de plaisir quand le patron demanda combien de chambres il fallait préparer pour le comte et la comtesse ; mais la joie de Francesco ne dura pas plus longtemps que la méprise de l’hôtelier.

— Il ne faut pas de chambre du tout, dit Elena. Ce gentilhomme est mon secrétaire, et nous partirons dans une heure.

— Quoi ! s’écria don Cicillo, nous allons nous aventurer de nuit dans les défilés infestés de brigands !

— Je ne crois pas aux brigands, répondit la comtesse. Si vous avez peur, restez à l’auberge.

Il était dix heures de France quand la voiture sortit de Terracine. Don Cicillo, plus occupé du danger que du froid, reprit sa place au siége du cocher, pour observer le pays de plus loin. Il demanda au postillon s’il existait encore des voleurs de grands chemins.

— Sang de la madone ! répondit le postillon scandalisé, croyez vous donc que la justice a tout pendu ? De Terracine à Torre-del-Confini, la population ne se compose que de pauvres voleurs découragés. Qu’on nous délivre seulement de ces carabiniers maudits, et l’on verra ce que l’on verra.

— Le drôle, pensa don Cicillo, était affilié à quelque bande de malfaiteurs.

Bientôt la silhouette noire d’un énorme rocher se dessina sur l’azur du ciel.

— Excellence, dit le postillon, voici le lieu de la scène. Que de fois la brava gente m’a donné le temps de faire souffler mes chevaux au détour de cette pierre !

— Et vous aviez votre part du butin, n’est-il pas vrai ?

— Qui le sait ? Cela regarde mon confesseur. Mes fautes d’aujourd’hui ne sont plus péchés de jeunesse.

La berline touchait au passage périlleux. Tout à coup une ombre apparut au milieu de la route ; une voix terrible et caverneuse cria :