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lèrent en riant sur le siége de derrière. On baissa le marchepied ; La signora monta dans la berline, et don Cicillo s’apprêtait à la suivre, lorsqu’elle lui présenta un sac plein d’écus, en lui disant d’une voix caressante :

— Cher Francesco, prenez ceci ; Vous paierez les postillons. Donnez-leur doubles guides afin qu’ils nous mènent bien, et montez sur le siége de devant pour les surveiller. Le temps est beau, et vous pourrez fumer.

— Comtesse, dit Francesoo en balbutiant, je préférerais vous tenir compagnie.

— Je désire être seule, mon ami, répondit Elena. Vous le savez, je suis précocupée. Montez sur le siége.

En ce moment Gennariella entra tout essoufflée dans la cour. Elle apportait à son jeune maître un bonnet de soie noire pour la nuit.

Uh ! s’écria-t-elle dans son patois, qu’allez-vous donc faire la-haut, mon enfant ? Est-ce que vous conduirez le carosse ?

— Je surveille les postillons, je paie les guides, répondit Francesco. C’est moi qui suis chargé de la direction et de l’emploi des finances.

Uh ! bè ! bonora ! aggio capito. À la bonne heure, j’ai compris ; mais, à votre place, j’aimerais mieux une position moins élevée.

Avanti ! cria don Cicillo d’un ton de commandement.

À ce signal, le postillon fouetta ses chevaux ; la berline partit au grand trot, et se dirigea vers la voie Appia par Sainte-Marie-Majeure. Devant la villa Strozzi, un groupe de jeunes gens reconnut et salua les voyageurs. Cinq minutes après, le carrosse sortait de Rome et roulait sur le chemin qu’avaient pris Emilius et Varron pour aller se faire battre par Annibal. Pendant ce temps-là, Gennariella rapportait à la place de Trevi des nouvelles de son jeune maître.

— Sur le siége ! comme un cocher ! s’écria la tante Barbara. Mais il va s’enrhumer. Cette comtesse n’a donc ni cœur ni âme ? Sur le siége, Gesu mio !

— Oui, pour traverser la ville, répondit Susanna d’un air fin. C’est une mesure de convenance que j’approuve fort : factotum en public, sigisbée dans le particulier ! La comtesse est une adroite personne.

— Ah ! ma sœur, reprit la tante, que vous avez la tête romanesque !

— Vogue le voyageur ! dit la mère en déclamant. Vogue la barque de ses amours ! Que les jaloux en chuchottent d’un bout de Rome à l’autre. Il est enlevé, mon Renaud, enlevé par son Armide. Un ange le protége et le ramènera. Príons, ma sœur, pour que son bonheur dure ; brûlons un cierge à Saint-Pierre-aux-Liens.