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compagnies de chasseurs. Bientôt un combat inégal s'engage, Abd-el-Kader est là avec tout son monde; à la première décharge, Montagnac tombe frappé mortellement; en peu d'instans, tous les chevaux, presque tous les hommes sont atteints; le commandant de Cognord du 2e hussards[1] rallie ceux qui restent: cette poignée de braves se serre sur un mamelon, et ne cesse de s'y défendre jusqu'à ce que les munitions soient épuisées. Les Arabes alors, s'approchant de ce groupe devenu immobile et silencieux, « le font tomber sous leur feu comme un vieux mur[2]. » L'ennemi ne ramassa que des cadavres et des blessés qui ne donnaient plus signe de vie. Avant d'expirer, Montagnac avait fait appeler le commandant Froment-Coste; ce dernier accourt à son aide avec une compagnie; ce nouveau détachement est entouré, et, après une héroïque résistance, détruit jusqu'au dernier homme[3].

Restait la compagnie de carabiniers du 8e, commandée par le capitaine de Géreaux. Les Arabes vont fondre sur elle de toutes parts. C'est en effet la présence de l'ennemi qui apprend à Géreaux le danger qui le menace et le désastre de ses compagnons; mais son courage ne se trouble pas : il rassemble sa petite troupe, se saisit du marabout de Sidi-Brahim, qui est à sa portée, et s'y barricade. Il y est aussitôt attaqué avec fureur; le feu des grosses carabines décime les assaillans, dont les plus hardis sont renversés à coups de baïonnettes. Abd-el-Kader dirige le combat. Il envoie au capitaine français une sommation écrite, l'engageant à cesser une lutte inutile, promettant la vie sauve à ses hommes. Géreaux lit la lettre aux chasseurs, qui n'y répondent que par des cris de vive le roi! Un drapeau tricolore fait avec des lambeaux de vêtemens est hissé sur le marabout; on y pratique quelques créneaux à la hâte; on coupe les balles en quatre ou en six pour prolonger la défense. L'attaque recommence plus acharnée que jamais, puis le feu s'arrête encore. Le capitaine Dutertre, adjudant-major du bataillon, fait prisonnier quelques heures plus tôt, s'avance vers le marabout : « Chasseurs, s'écrie-t-il, on va me décapiter si vous ne posez les armes, et moi, je viens

  1. Blessé et sans connaissance, M. Courby de Cognord allait être décapité, lorsqu'un vieux régulier reconnut l'officier supérieur aux soutaches de son dolman. On l'emporta; il se rétablit et fut rendu à la liberté l'année suivante : il est aujourd'hui officier-général.
  2. Expression d'un témoin oculaire. Voir le rapport du général (alors commandant) de Martimprey.
  3. Dans la seconde édition que M. Pellissier vient de donner de son intéressant et excellent ouvrage (les Annales algériennes), nous trouvons un renseignement qui, bien qu'il soit très vague, mérite cependant de fixer l'attention. On aurait lieu d'espérer que M. Froment-Coste a survécu à ses blessures, et qu'il existe encore chez une tribu éloignée du Maroc. Nous pensons que rien ne sera négligé pour éclaircir ce fait, et, s'il se confirme, pour faire cesser la captivité de ce brave officier.