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REVUE DES DEUX MONDES.

Vous pouvez abréger vos préliminaires ; je sais d’avance le but de votre visite ; il s’agit de cette bonne Elena, n’est-ce pas ?

— Chevalier, répondit Francesco en s’asseyant, parlez mieux d’une personne que je respecte. Je viens, en effet, chargé par elle d’une mission importante. Sans entrer dans les détails d’une affaire qu’il m’est interdit de connaître, permettez-moi de vous rappeler qu’après trois mois de relations agréables et suivies, la plus simple courtoisie vous fait un devoir de ne point partir de Rome sans prendre congé de la comtesse.

— Tout peut s’arranger, interrompit San Caio. Je vois avec plaisir que l’on m’envoie un garçon de sang-froid et non un énergumène. Écoutez-moi donc. Il y a deux sortes de gens, ceux qui se dispensent d’agir en bavardant, et ceux qui parlent peu et qui font ce que les autres se contentent de dire. La comtesse et moi nous appartenons tous deux à la seconde catégorie : elle doit donc savoir que les phrases les plus arrondies ne servent à rien, pas plus à la fin qu’au début d’une affaire. Je conviens qu’il n’est pas d’usage de s’éloigner sans prendre congé : la politesse paraît un peu sacrifiée ; mais, avec du temps, je suis homme à me mettre en règle. Dites donc à Elena qu’au revenant de Naples ma première visite sera certainement pour elle. Vous ajouterez qu’au moment d’un départ, accablé d’affaires, et tout à mes amours nouvelles, je la prie, je la supplie de m’excuser, de me pardonner et de me tenir pour son serviteur bien dévoué. Comme tous les gens faibles, don Cicillo était enclin à donner raison à la dernière personne qui lui parlait. La promesse d’une visite au retour de Naples lui sembla un accommodement, un moyen terme excellent.

— Combien je me réjouis, dit-il, de vous trouver dans ces bons sentimens ! Vos paroles seront fidèlement rapportées à la comtesse, et je ne doute pas que le différend ne soit terminé à la satisfaction générale.

Amen ! répondit San-Caio. C’est mon désir le plus ardent. Voulez-vous un cigare ?

— Merci ! je ne fume pas, et il me tarde d’en finir avec cette mission délicate.

— Au revoir donc, cher plénipotentiaire.

Aussitôt que don Cicillo parut au palais Corvini, on l’introduisit dans le boudoir de madame. Il s’apprêtait à raconter les terribles préliminaires de son entrevue.

— Allons au fait, lui dit la comtesse. Avez-vous vu le chevalier, et viendra-t-il ?

— Je l’ai vu, répondit Francesco. À son retour de Naples il viendra.

— À son retour de Naples ! s’écria Elena, et vous avez pensé que