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Ce n’était encore là qu’un préliminaire aux plans politiques d’Héraclius. L’empereur entra en pourparlers avec une confédération de Vendes et de Slovènes qui habitait, sur le revers septentrional des Carpathes, les bords de l’Oder supérieur et de la Vistule, — la confédération des Khorwates, Khrobates ou Croates, dont le nom signifiait montagnards, — et lui offrit, si elle voulait émigrer au midi du Danube, une portion des terres que les Avars y avaient usurpées. Une des plus puissantes tribus de cette confédération se laissa séduire, et partit sous la conduite de cinq frères, Cloucas, Lobel, Cosentzès, Mouchlo et Chrobate, et de leurs deux sœurs, Touga et Bouga : Héraclius les lança sur la Dalmatie. Les Avars, maîtres de cette belle province depuis soixante ans, en avaient fait presque un désert, et Salone, si célèbre jadis par sa splendeur, s’était transformée sous leurs mains en un monceau de débris. En concédant la Dalmatie aux Croates, l’empereur leur donnait une conquête à faire, et ils n’en vinrent pas à bout sans beaucoup de peine et de temps. Quelques restes de la nation avare réussirent même à se maintenir çà et là dans le pays.

La partie des provinces dalmates abandonnée aux Croates s’étendit le long du golfe Adriatique depuis les montagnes de l’Istrie jusqu’au fleuve Zentinas, qui se jette dans cette mer au nord de la Narenta, et à l’intérieur des terres, de l’ouest à l’est, jusqu’à la limite des contrées qu’occupèrent plus tard les Serbes. Ils se répandirent sur tout le plat pays, les places maritimes et les principales îles du golfe continuant d’appartenir aux Romains. Liés à l’empire par les conditions ordinaires des nations fédérées et reconnaissant son domaine souverain, les Croates gardèrent leurs lois particulières et furent gouvernés par des chefs locaux qui portaient le titre de zoupans. L’empire romain acquit, par suite de leur établissement, au lieu d’une population ennemie et féroce comme étaient les Avars, une population active, brave et fidèle ; mais ce n’était pas tout de les attacher à l’empire par des liens matériels : Héraclius voulut les y unir plus étroitement par la conformité de croyance et de culte. Il engagea le pape à leur envoyer des évêques et des prêtres pour les catéchiser et les baptiser. On raconte qu’au moment de leur baptême le pape leur fit jurer de n’envahir jamais le territoire d’autrui et de vivre en paix avec tous leurs voisins, leur promettant de son côté l’assistance de Dieu et de l’apôtre saint Pierre, s’ils étaient attaqués injustement. Ce traité avec le ciel, cet oracle, comme dit l’écrivain grec qui nous fournit cette anecdote, les aida merveilleusement dans l’observation des traités terrestres avec l’empire. La nouvelle Croatie fut distinguée de sa métropole, la Croatie des Carpathes, par la qualification de baptisée ; l’autre fut nommée par les Romains Croatie non baptisée,