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forum ou champ destiné aux revues militaires. Outre le grand port, situé, comme je l’ai dit, sur le golfe, deux petits havres, creusés de main d’homme et aujourd’hui ensablés, étaient renfermés dans l’enceinte murée de la ville, du côté de la Propontide : le port de Théodose et celui de Julien, que surmontaient les palais de ces deux empereurs. Les césars byzantins avaient alors leur demeure à la pointe orientale, sur une colline d’où l’œil embrassait au loin le golfe, la Propontide et le détroit. La partie de l’enceinte attenante au continent était percée de sept portes dont la cinquième, fameuse dans l’histoire byzantine, s’appelait la Porte dorée à cause des statues, des bas-reliefs, des ornemens de bronze et d’or qui la décoraient à profusion. C’était par la Porte dorée que passaient les triomphateurs pour se rendre en grande pompe à Sainte-Sophie ; c’était à elle aussi que s’adressaient les premières attaques des Barbares venant de la Thrace, et parce que là aboutissait la principale route du nord, et parce que ce quartier était le plus opulent de la banlieue.

Les habitans de Constantinople ne se montrèrent effrayés ni « de la vipère avare, ni1 de la sauterelle slave, » comme disaient les beaux esprits du temps pour caractériser le Hun hideux, plein de ruse et de venin, et ces troupeaux d’Antes, de Slovènes, de Vendes, au poil blond, au corps long et fluet, nus ou presque nus, qui venaient s’abattre sur la campagne comme une nuée de sauterelles. Le gouvernement, le peuple, la garnison, ne se reposaient pas seulement sur leur propre énergie ; ils avaient foi dans la protection céleste, dont ils avaient aux mains un gage qui leur semblait assuré : ce n’était pas moins que la robe de la sainte Vierge, tombée (sans qu’on explique comment) en la possession d’une ville dont la sainte Vierge était patronne. Le patriarche la fit promener processionnellement avec d’autres reliques sur le rempart au chant des litanies et des psaumes. La robe de la Toute-Sainte, comme disaient les Grecs par une expression touchante, fut pour les assiégés de Constantinople, en (326, ce qu’était pour les soldats franks la chape de saint Martin, et en ce moment même pour ceux d’Héraclius l’image miraculeuse du Christ. En voyant flotter sur sa tête, au milieu des batailles, le tissu sanctifié qui avait touché les membres de la mère de Dieu, qui donc ne se serait cru invincible ? Qui eût pu douter que la Vierge ne protégeât avec amour la capitale d’un empire dont l’armée et le chef s’exposaient à la mort pour reconquérir la croix de »on fils, perdue aux mains des infidèles ?

Commencée dès le 31 juillet, l’attaque régulière continua sans interruption pendant cinq jours. Le kha-kan avait amené avec lui une si grande quantité de béliers, de tortues, de machines de trait,