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désarroi jeté parmi les Romains, les deux fractions de la petite armée avare devaient se réunir au long mur et pousser sur Constantinople, dont elles comptaient avoir bon marché au milieu de la consternation qu’y causerait la mort ou la captivité d’Héraclius. « C’était là un coup infaillible, dit un contemporain, si le ciel lui-même ne se fût chargé de le déjouer. »

Le kha-kan avait ainsi tendu ses rets, lorsque Héraclius, sur la nouvelle de son approche, quitta Sélymbrie, passa la longue muraille et s’avança à sa rencontre. Il marchait sans défiance, monté sur un cheval de parade, avec la couronne impériale au front et le manteau de pourpre sur les épaules, quand des paysans, à qui les mouvemens des Avars du côté du long mur n’avaient point échappé, se firent jour à travers son entourage de gardes et de fonctionnaires, et, lui racontant ce qu’ils avaient vu, l’avertirent de se mettre sur ses gardes. Il était temps, car déjà la troupe du kha-kan paraissait à l’horizon dans une attitude qui n’était rien moins que pacifique. Sauter de cheval aussitôt, jeter bas le manteau qui l’eût fait reconnaître, ôter de sa tête la couronne, qu’il passa à son bras gauche, et s’enfuir à toute vitesse sur la monture et sous la casaque d’un paysan, ce fut une affaire aisée pour un homme habitué comme Héraclius à la prompte décision et à l’action rapide du soldat. Tandis qu’il s’éloignait à bride abattue, la troupe du kha-kan arrivait de même, et il put entendre les premiers cris de son escorte, sur laquelle les Barbares fondaient à grands coups de lances. Ce fut bientôt du côté des Romains un sauve-qui-peut général. L’empereur, qui avait de l’avance, parvint à gagner la longue muraille, qu’il franchit sans beaucoup de peine à la faveur de son déguisement et par des sentiers qu’il connaissait ; mais ses bagages furent pillés, l’attirail scénique enlevé, les fonctionnaires dépouillés et mis aux fers. Le kha-kan demandait instamment qu’on lui amenât l’empereur : on ne put lui livrer que le manteau de pourpre ramassé à terre et tout souillé de boue ; il vit alors que son coup était manqué. Une chance lui restait, celle d’arriver assez promptement à Constantinople pour en trouver l’entrée sans défense, et quoique l’évasion de l’empereur lui laissât bien des doutes à ce sujet, il commanda à ses cavaliers, qui pillaient, de se rallier et de le suivre vers le grand rempart, où ils devaient rejoindre leurs compagnons. Cet événement se passa le samedi 16 juillet de l’année 616.

Le lendemain dimanche, au point du jour, le kha-kan arriva sinon tout à fait seul, du moins peu accompagné, une grande partie de ses gens, entraînés par l’ardeur du pillage ou attardés sur la route, manquant au rendez-vous. Maigre ce contre-temps, il se montra confiant et gai. « Sitôt que je paraîtrai, disait-il, Constantinople sera