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dans la puberté. Sa double qualité de veuve et de mère de ducs lui donnant part au gouvernement des affaires suivant la coutume germanique, Romhilde s’occupait avec sollicitude de tout ce qui regardait la défense de la place, dont les Avars n’avaient pas tardé à faire le siège. Leurs attaques furent d’abord sans aucun succès, grâce à la bonne contenance des Lombards : repoussés dans leurs escalades, déjoués dans leurs surprises et peu faits pour les travaux patiens qu’exigent les sièges, ils se découragèrent, et songeaient déjà à partir quand une aventure romanesque les retint. Un matin que le kha-kan, voulant examiner par lui-même l’état des murs, en faisait le tour avec une escorte de cavaliers, Romhilde, embusquée sur le rempart, l’aperçut et le suivit longtemps des yeux. Il paraît que le successeur de Baïan était jeune et beau et que sa tournure .martiale se dessinait bien sous le costume éclatant de sa nation, car Romhilde fut séduite. Tant qu’il fut là, son regard ne put le quitter, et quand il eut disparu, elle le voyait encore ; enfin il laissa dans l’âme de la Germaine un désir indomptable qu’elle résolut de satisfaire à tout prix. Dès le lendemain, elle lui faisait offrir par un message de lui livrer Forum-Juin, s’il s’engageait à la prendre pour femme. Aux yeux d’un kha-kan des Avars, l’engagement n’avait rien de bien grave, et celui-ci n’était pas homme à refuser une ville pour si peu. Il fit donc bon accueil au messager, s’entretint avec lui des moyens d’exécution, et après quelques allées et venues le marché fut conclu. Une porte laissée ouverte pendant la nuit par les soins de Romhilde donna passage aux assiégeans, qui se précipitèrent dans les rues le fer et la flamme à la main. La veuve de Ghisulf était là ivre d’amour ; elle aborde le kha-kan, l’entraîne avec elle dans son palais, et l’incendie qui dévorait déjà la ville fut le flambeau de leur hyménée. La nuit finie, le kha-kan, qui put se croire loyalement dégagé de sa parole, puisqu’il avait mis Romhilde au nombre de ses femmes, la chassa de son lit, et après l’avoir jetée en pâture à la lubricité de douze de ses gardes, il la relégua dans les derniers rangs de ses esclaves.

La ville fut pillée de fond en comble, et quand il n’y resta plus rien à emporter, le kha-kan fit ranger le butin dans ses chariots et partit pour regagner la Pannonie, satisfait du fruit de sa campagne. Outre un butin immense, il emmenait avec lui tous les habitans qui n’avaient pas été tués, des hommes, des femmes, des enfans en nombre considérable, à qui il avait promis de bonnes terres au-delà des Alpes, sur les bords de la Drave et du Danube, mais qu’au fond du cœur il destinait à figurer dans les marchés à esclaves de la Mésie et de la Thrace. Chemin faisant, il s’aperçut que cette multitude confuse embarrassait sa marche, qu’elle n’était pas même sans danger, vu le grand nombre d’hommes valides qui s’y trouvaient, et il