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immédiate des événemens d’Arequipa, il n’eût trouvé peut-être qu’une faible résistance, tant cette impression était profonde. Il différa encore cependant, et il ne paraissait que dans les premiers jours de cette année, lorsqu’on ne l’attendait plus. Le a janvier, les deux armées étaient en présence; elles étaient à peu près de nombre égal. La lutte était engagée au nom du gouvernement par le général Pezet, bientôt suivi du général Deustua, qui ne tardait point à être mortellement frappé. En définitive, trois heures de combat décidaient la victoire en faveur du général Castilla, qui, blessé lui-même légèrement, faisait dans la journée son entrée à Lima, et le général Echenique n’avait que le temps de chercher un asile à la légation anglaise, d’où il a pu partir depuis pour se diriger sur l’Europe. Le général Castilla est donc resté complètement maître du pouvoir, qu’il a exercé précédemment, et qu’il était digne de reconquérir par d’autres voies. Il jouit d’une grande influence au Pérou, mais il aura sans nul doute à compter avec toutes les autres influences qui l’ont secondé, et la question est de savoir si toutes ces prétentions pourront rester d’accord. En outre on est parfois forcé, dans les révolutions, d’avoir recours à des moyens périlleux qui ne tardent point à devenir un embarras. Pour n’en citer qu’un exemple, le général Echenique avait accordé la liberté aux noirs qui s’engageraient dans l’armée : c’était une mesure extrême pour avoir des soldats. A cela le général Castilla a répondu en décrétant l’affranchissement complet et immédiat de tous les noirs. S’il maintient aujourd’hui sa décision, il risque fort de mécontenter les propriétaires d’esclaves et de ruiner l’agriculture; s’il la révoque, il s’expose au danger des passions qu’il a soulevées. Toutefois son ascendant peut servir à aplanir ces difficultés, de même que la prudence et la modération qu’il a montrées dans sa précédente administration peuvent l’aider à vaincre le vice d’origine du pouvoir qui lui est échu de nouveau. C’est la meilleure chance du Pérou en ce moment.


CH. DE MAZADE.


THEATRES.
Le Demi-Monde, comédie de M. Alexandre Dumas fils.

Le théâtre est, de tous les pays du monde, le plus sujet aux révolutions. Il se renouvelle et se rajeunit tous les jours, comme la société dont il est l’image : il n’a rien de fixe ni de constant, il se maintient dans un perpétuel devenir. La scène est un miroir grossissant où se reflètent les passions, les vices et les ridicules de chaque époque. Or les vices d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui; il y a une mode pour les passions, et nous changeons de ridicules comme de chapeaux. Molière ne connaissait pas les agioteurs; nous avons perdu les courtisans. Le bourgeois gentilhomme est usé, mais nous avons le gentilhomme bourgeois, qui vend du vin ou de la farine, et qui applique sur ses étiquettes les armoiries de ses pères. Il ne faut donc pas trop s’étonner si, à l’exception de quelques chefs-d’œuvre qui se défendent par le style, les pièces de théâtre vieillissent, comme les femmes, au bout de trente ou quarante ans. On peut dire d’une comédie, comme d’une duchesse, qu’elle était belle en 1720. On peut dire d’un draine ce que les Espagnols disaient d’un soldat : « Il a été brave tel jour. »