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les deux administrations, on a pu craindre un mouvement nègre tendant a établir une dictature et à empêcher l’avènement régulier du nouveau président, soupçonné de préférer après tout les blancs aux noirs. La ville de Caracas était déjà dans la terreur, lorsque le général Tadeo Monagas a déconcerté tous les plans en arrivant plus tôt qu’on ne l’attendait. Un incident caractéristique est venu signaler sa prise de possession de l’autorité suprême. Il s’est trouvé un évêque, accablé par l’âge, qui seul n’a point craint dans son allocution de lui faire le tableau de l’état lamentable du pays et de le conjurer de réparer tant de désastres par un gouvernement meilleur. Bien que tout ceci allât droit contre son frère, le général Tadeo Monagas n’a paru ni s’en lâcher ni s’en étonner. Il s’est montré disposé à la conciliation. De là sont nées quelques espérances que le fait confirmera ou démentira, mais qui restent comme un des élémens de la situation du Venezuela au début de l’administration nouvelle. On voit que cette transmission régulière du pouvoir n’est point après tout sans recouvrir bien des incertitudes et bien des causes d’anarchie.

En sera-t-il de même de la paix qui vient de se conclure dans la république argentine ? On n’a pas oublié les étranges résultats des dernières révolutions de la Plata. La province de Buenos-Ayres s’est constituée en état séparé, uniquement en haine du général Urquiza, qu’elle ne voulait point accepter pour chef ; les autres provinces argentines se sont organisées en confédération, et ont élu pour président le même général Urquiza. Il s’en est suivi ce qui devait nécessairement s’ensuivre, un état permanent d’antagonisme et d’hostilité. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que toutes les tentatives qui ont été faites n’ont servi qu’à montrer l’impuissance de Buenos-Ayres à détruire la position du général Urquiza dans le reste de la confédération et l’impuissance d’Urquiza à réduire Buenos-Ayres. Alors on en est venu à chercher à vivre en paix dans cette dislocation véritable du pays. Il n’est point douteux qu’une telle paix devait être fort précaire. Récemment encore, quelques émigrés réfugiés dans la province de Santa-Fé envahissaient la province de Buenos-Ayres.’La responsabilité de cette invasion était aussitôt rejetée sur le général Urquiza. Des deux côtés on armait, et la guerre était sur le point d’éclater de nouveau. Heureusement le général Urquiza, dans une pensée de conciliation, s’est hâté de désavouer la tentative qui venait d’être faite, et s’est adressé directement au gouvernement de Buenos-Ayres, en lui proposant de régulariser autant que possible la situation actuelle. C’est ce qui a été fait par un traité signé le 20 décembre 1854 à Buenos-Ayres. Les deux parties conviennent de cesser tous préparatifs militaires, de retirer leurs forces des positions qu’elles occupaient, et de rester en paix. Bien mieux, elles s’engagent a ne plus avoir recours aux armes pour l’aplanissement de tout diiîérend qui pourrait s’élever entre elles. Cette paix a été célébrée en grande pompe à Buenos-Ayres. Elle méritait un tel accueil comme une victoire de l’esprit de conciliation, comme un premier pas vers la reconstitution de la république argentine en un même état. Quel est l’unique obstacle à cette reconstitution ? Il y a surtout un amas de passions personnelles et de jalousies locales. Tout cela ne disparaîtra-t-il pas peu à peu par le rapprochement des hommes et par la solidarité des intérêts ? Depuis ce moment, la conciliation semble même avoir fait un pas de plus : un traité nouveau, qui