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Ces péripéties de l’œuvre militaire et diplomatique qui s’accomplit se lient naturellement aux incidens de la vie intérieure de chaque peuple, et elles y occupent une grande place. L’opinion les suit avec cet intérêt ardent qui s’attache aux grandes choses. Elle observe les symptômes, elle a aussi ses crédulités, qui vont se traduire à la Bourse et font les coups de fortune des habiles. Quant aux affaires pratiques, en France, elles se résument presque aujourd’hui dans l’attente de l’exposition universelle et dans les travaux du corps législatif, dont la session vient d’être prolongée de quelques jours. La dernière et la plus importante discussion du corps législatif touche à une grande question, celle des institutions militaires. Une loi, comme on sait, a été présentée pour transformer le système actuel de remplacement. Chacun sera libre de s’exonérer du service moyennant une somme dont l’importance sera fixée chaque année, et qui sera versée à la caisse de dotation de l’armée. Cette caisse elle-même est destinée à favoriser par des avantages pécuniaires les réengagemens et à améliorer la position des anciens soldats. L’organisation de la force militaire en France découle, on ne l’ignore pas, des lois de 1818 et de 1832. C’est de l’application de cette législation qu’est sortie l’armée actuelle, qui est l’image du pays, l’expression de son esprit, et qui résume son héroïsme. La loi nouvelle changera-t-elle ces conditions ? Toutes les opinions se sont naturellement produites. Les adversaires du projet ont cru apercevoir le péril d’une altération de l’esprit de l’armée au point de vue et au point de vue politique. Les défenseurs se sont efforcés de montrer que le projet ne faisait que substituer au remplacement tel qu’il se pratique aujourd’hui un mode plus régulier et plus avantageux. En définitive, la loi a été votée. Pour tous d’ailleurs, il s’agissait indubitablement de maintenir l’armée française à la hauteur où elle s’est placée, a ce point où, après s’être montrée la force disciplinée et préservatrice de la société intérieure, elle a été l’instrument héroïque de la défense européenne.

C’est à ce titre que l’esprit est un des élémens de la vie sociale. Il en est la force active et armée comme l’esprit d’industrie en est la force laborieuse appliquée aux entreprises matérielles, de même que l’esprit littéraire en est la force idéale et réfléchie. Aussi le monde apparaît-il sans cesse sous ces divers aspects. Au moment où la guerre sévit, attestant par de nouveaux exemples la puissance de l’héroïsme militaire, voici une exposition universelle qui se prépare, qui va s’ouvrir comme une grande revue des inventions pacifiques du génie industriel de l’Europe, et en même temps la vie littéraire ne se déroule pas moins avec ses incidens souvent heureux et favorables par les symptômes qu’ils révèlent, par les talens qu’ils montrent à l’œuvre, quelquefois aussi pénibles par les vicissitudes singulières dont ils sont l’expression. Comment se fait-il qu’un homme qui n’a rencontré jusqu’ici que le succès, dont la science ingénieuse et sûre a jeté tant de lumières sur toutes les choses de la littérature, que M. Sainte-Beuve en un mot, récemment appelé à la chaire de poésie latine au Collége de France, ait trouvé tout à coup me hostilité qui est venue mettre en question la continuation de son cours ? Que dans la carrière du professeur, surtout quand elle vient s’ajouter à une longue carrière de critique, il y ait plus d’une difficulté a vaincre pour gagner cette sympathie d’où naît une sorte de secrète et intelligente complicité entre celui qui parle et ceux qui écoutent, cela