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termes, il était né faiseur. Il essaya bien du commerce à deux ou trois reprises, mais il n’y réussit qu’à demi. Étant encore enfant, il s’était fait colporteur et vendait du sucre candi aux enfans, des lacets aux femmes, des liqueurs du cru aux soldats yankees. Adolescent, il ouvrit dans son village natal une boutique d’articles de mercerie et d’épicerie à laquelle il adjoignit une manière de cabaret. Les affaires allaient bien, les profits étaient bons, mais ils étaient insuffisans pour satisfaire les vastes désirs de M. Barnum. Son génie spéculatif, toujours en travail, lui suggéra une idée. Les loteries étaient à la mode : pourquoi M. Phinéas Barnum ne profiterait-il pas de cet engouement ? Il monta donc successivement plusieurs loteries, dont les lots gagnans, annoncés comme objets d’une grande valeur, se composaient de verroteries fêlées ou de vieux plats d’étain mis au rebut. La loterie fut sa première initiation au humbug ; c’est là qu’il apprit toutes les ressources d’un demi-mensonge mis en œuvre par d’habiles combinaisons. Il a gardé bon souvenir de ces loteries qui lui rappellent le temps de ses débuts, si bon souvenir, qu’il ne peut résister au désir de placarder au milieu d’une page commencée une monstrueuse réclame en faveur d’une loterie du Maryland que viennent de lui envoyer les inventeurs de cette ingénieuse combinaison.

Cette aversion pour le travail fixe et le salaire régulier aurait pu avoir des conséquences moins heureuses que celles qu’elles ont eues, si M. Barnum n’eût pas été doué au suprême degré de cette qualité commune à tous ses concitoyens, la faculté d’opposer un front d’airain à tous les malheurs de la vie, quels qu’ils soient, insuccès, banqueroute, détresse, et l’art de se retourner et de retomber toujours sur ses pattes comme un chat. Il embrassera toutes les professions, s’il le faut, sans crainte et sans fausse honte. Il se fera allumeur de gaz sans croire déroger, et magistrat sans croire être au-dessous de ses fonctions. Au besoin il se fera ministre d’une église quelconque et prêchera tout comme un autre, si les fidèles consentent seulement à payer son éloquence un dollar par tête. Il l’a bien fait pour rien, à la grande édification des baptistes de Rocky Mountain Falls, dans la Caroline du Nord. Il était alors en tournée avec le saltimbanque Vivalla et ses associés dans ses entreprises de cirque. Il lui passa par la tête de moraliser la population. Aussitôt conçu, aussitôt exécuté. Notre prédicateur improvisé monte dans la chaire du ministre et commence par informer ses auditeurs qu’il n’est point clergyman, qu’il n’est qu’un simple fidèle qui s’intéresse à tout ce qui regarde la moralité et la religion. Il prêcha sur le bonheur des justes et le malheur des méchans. « Nous ne pouvons violer impunément les lois de Dieu, et il ne laissera pas le bien sans récompense. Le côté extérieur des choses est de peu de prix ; nous devons nous attacher