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un assez bel aspect, mais qui écrasait la poitrine et servait de point de mire à l'ennemi, avait disparu; le sabre et la giberne cessaient de battre dans les jambes et d'entraver les mouvemens du soldat; les munitions étaient portées d'une manière plus rationnelle, plus commode pour la charge, et qui assurait mieux leur conservation. L'armement se composait d'une carabine et d'une baïonnette longue, solide, tranchante, appelée baïonnette-sabre; garnie d'une poignée, cette dernière arme pouvait tailler avec une certaine efficacité; mise au bout du canon, elle fournissait une pique redoutable. C'était encore une objection qui disparaissait; mais comme la carabine Delvigne-Pontcharra (que nous désignerons désormais par son nom réglementaire de carabine de tirailleur) n'avait pas atteint la portée du fusil d'infanterie, on munit les hommes les plus adroits et les plus robustes d'une arme plus lourde, chargée selon les mêmes principes, et qui, grâce à un calibre plus fort, lançait des balles avec justesse à de très grandes distances; on l'appelait fusil de rempart allégé ou plus habituellement grosse carabine; elle figurait pour l/8e dans l'armement du bataillon. L'introduction dans une même troupe de ce double modèle d'armes avait d'assez graves inconvéniens, sur lesquels nous reviendrons plus tard; toutefois cette disposition donnait un résultat important et entièrement nouveau. Le bataillon pouvait entretenir un feu efficace et bien nourri aux distances ordinaires, et cependant les hommes munis de grosses carabines, les carabiniers, comme on les nommait, mêlés aux autres tirailleurs, pouvaient atteindre l'ennemi là où il se croyait à l'abri de leurs balles; réunis par groupes, les carabiniers pouvaient produire de puissans effets de feu, et constituaient, suivant une expression souvent employée, une véritable artillerie de main.

Le bataillon de tirailleurs se formait sur deux rangs, ordre rendu nécessaire par la courte dimension des carabines, adopté d'ailleurs par quelques armées étrangères, et que plusieurs tacticiens préféraient à notre formation réglementaire sur trois rangs. Il manœuvrait en ligne, comme tous les autres bataillons d'infanterie; mais à l'instruction habituelle du fantassin on ajouta la gymnastique et les évolutions au pas de course, l'escrime de la baïonnette, une instruction spéciale de tir et une nouvelle école de tirailleurs.

La gymnastique était depuis longtemps encouragée dans l'armée. Lorsqu'on n'en abuse pas, elle développe beaucoup les forces des hommes jeunes; mêlée à l'instruction des recrues, elle permet, en augmentant leur adresse, de s'appesantir moins longtemps sur certains détails fastidieux. La course faisait naturellement partie de ces exercices, mais elle n'était pas admise dans nos manœuvres. Cepenant il fallait quelquefois faire courir les soldats; n'en ayant aucune habitude, gênés par leur équipement, ils se mettaient dans le plus