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son procédé présentait au début d'assez grandes imperfections, dont la plus grave était d'enlever à la balle sa forme sphérique par le mode de forcement, ce qui altérait la portée et la justesse. Une polémique assez vive s'engagea à ce sujet. Au milieu de ces discussions, le maréchal Soult était arrivé au ministère de la guerre peu après la révolution de juillet. Moins instruit peut-être que Gouvion Saint-Cyr, mais ayant, comme lui, beaucoup réfléchi sur la guerre, qu'il avait faite avec autant de supériorité que de succès, doué d'ailleurs de remarquables facultés d'organisateur, le maréchal Soult avait soumis à la sanction royale une série de règlemens, encore en vigueur aujourd'hui, sur les manœuvres et sur les principaux détails du service; il voulut aussi combler la lacune qui lui paraissait exister dans la composition de notre infanterie. Une ordonnance rendue sur sa proposition (1833) prescrivit la formation de compagnies de «francs-tireurs, armés de carabines et revêtus d'un uniforme approprié à leur destination; » ces compagnies devaient être réunies plus tard en bataillons et recevoir une instruction spéciale. Cette ordonnance ne fut pas alors mise à exécution; mais l'impulsion était donnée : l'artillerie, chargée de la confection des armes, fit des expériences sur le système Delvigne, et le colonel Pontcharra, inspecteur des manufactures d'armes, parvint à établir une carabine qui fut jugée satisfaisante; un sabot en bois ajouté à la cartouche s'interposait entre le ressaut de la chambre et la balle, qui était forcée sans avoir perdu sa forme sphérique. Ainsi se trouvait détruite une des principales objections contre le nouveau système.

Ce résultat atteint, le duc d'Orléans fit décider la formation d'une compagnie de tirailleurs qui reçut un équipement particulier, une instruction spéciale, et fut pourvue de la carabine Delvigne-Pontcharra. Cette compagnie tenait garnison à Vincennes; commandée par un officier énergique et intelligent, le capitaine Delamarre[1], elle était placée sous la direction d'un aide de camp du roi, le général d'Houdetot, qui avait l'expérience de la guerre, et qui avait fait de la question une étude particulière. Bientôt il parut utile de donner à cette épreuve de plus grandes proportions, un caractère plus régulier. Une décision royale du lu novembre 1838 créa, à titre d'essai, un bataillon de tirailleurs.

Les tirailleurs qui reçurent le surnom populaire, encore employé aujourd'hui, de tirailleurs de Vincennes, portaient un uniforme assez semblable à celui de nos chasseurs actuels, mais qui différait sensiblement alors de celui de l'infanterie. Les vêtemens étriqués, la coiffure lourde avaient été remplacés par une tunique, un pantalon ample, un shako léger. La double buffleterie blanche qui présentait

  1. Aujourd'hui officier-général.