Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

batteries de campagne, à peine dans la proportion d’un canon pour mille hommes. Des hommes et des chevaux du train, des chariots de munition, des civières pour les malades et les blessés, des sapeurs et des mineurs, enfin tout ce qu’il faut à une armée en campagne, on ne put le donner qu’en très petite proportion, quelquefois pas du tout. C’est ainsi qu’avec un faible pied de paix l’Angleterre s’est trouvée engagée dans une guerre formidable… »


Sir Howard Douglas passe à des considérations scientifiques sur la force de Sébastopol, et il ajoute :


« En calculant le nombre des forces requises pour assiéger et pour prendre Sébastopol, il aurait fallu ne pas perdre de vue que cette ville est une vaste forteresse située sur les deux rives d’un port qui ressemble à une large rivière, et que le côté nord, occupé par la citadelle, domine la partie sud. C’est donc une forteresse divisée en deux parts par une rivière non guéable, et par conséquent les divisions du corps assiégeant ne peuvent se porter mutuellement assistance. Pour investir une place de ce genre, il faut une armée double de celle qu’il aurait fallu, si cette interruption de communications n’avait pas existé. Dans ce cas aussi, l’ennemi tenant la campagne avec une nombreuse armée d’observation, une ligne de circonvallation très étendue et très forte était nécessaire. D’autre part, on savait que Sébastopol était pour vue de tous les moyens possibles de défense ; elle avait un vaste arsenal naval déjà fortifié, et qui, à la moindre attaque, pouvait être considérablement renforcé ; elle avait d’énormes approvisionnemens de munitions, et, outre les artilleurs attachés à la place, elle pouvait emprunter à la flotte de nombreux renforts d’artilleurs faciles à exercer. Il n’y a pas une opération militaire qui puisse être calculée avec autant de certitude que le siège d’une forteresse, pourvu que ce siège soit entrepris avec des moyens suffisans et conduit avec l’habileté nécessaire ; mais il n’y a pas d’opération qui soit plus désastreuse qu’un siège entrepris avec des forces insuffisantes, comme, en 1812, celui de Badajoz (auquel l’auteur assistait). L’armée assiégeante doit être assez forte pour investir la place de tous les côtés accessibles, de manière à empêcher quoi que ce soit d’entrer ou de sortir, et elle doit être, en nombre, cinq fois supérieure, et jamais moins de trois fois, à la garnison. De plus, il doit y avoir une armée en campagne, principalement de cavalerie, pour protéger les opérations du siège, et empêcher qu’elles ne soient interrompues par l’armée d’observation de l’ennemi. L’armée de la Crimée s’est trouvée évidemment trop faible pour l’objet qu’elle voulait atteindre, et même la victoire de l’Alma n’a pu que l’affaiblir encore… »


Sir Howard Douglas examine ensuite la conduite de la campagne après la victoire de l’Alma, et il exprime l’opinion qu’on s’est trompé en attaquant par le sud, et que la célèbre marche de flanc a été une faute stratégique. Nous citons :


« Il est très à regretter qu’à cause de l’insuffisance des forces, il soit devenu nécessaire d’abandonner la ligne d’opérations par laquelle on s’était d’abord rapproché de la place, et sur laquelle ou avait, à l’Alma, défait l’armée qui couvrait Sébastopol. Cette bataille est un brillant fait d’armes pour