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raisonnables ; alors où donc est l’homme dans cette chambre ou dans ce pays, où est l’homme dévoré d’une assez insatiable soif de sang pour appeler avec bonheur un assaut dans lequel Anglais, Français, Russes, Turcs, aussi sûr que nous vivons, vingt mille cadavres joncheront les rues de Sébastopol ?… Ce que je vous dis là, c’est ce que pensent dans ce pays des milliers de chrétiens, dont la voix est couverte par de fausses clameurs. Sachez-le bien, votre pays n’est pas dans une bonne condition en ce moment. D’un bout du royaume à l’autre, il y a une paralysie générale de l’industrie. Ceux d’entre vous dont ce n’est pas l’affaire ne peuvent pas comprendre entièrement ce que c’est que la diminution du travail et des salaires. Une simple augmentation dans <le prix des denrées se fait sentir vite dans le foyer des classes laborieuses. En même temps, je regrette de le dire, il se produit de jour en jour au sein de ces classes un sentiment d’amertume et de colère contre celles qui depuis longtemps gouvernent les affaires du pays… Chaque courrier apporte des nouvelles de deuil dans des centaines de familles. L’ange de la mort est déchaîné sur notre terre ; d’ici vous pouvez entendre le battement de ses ailes. Nulle main n’est là pour mettre le signe de sang sur le haut de nos portes afin que l’ange passe sans frapper ; il entre dans le palais du noble et dans la maison du riche comme dans la chaumière du pauvre, et c’est au nom de tous que je vous fais cet appel solennel…

Nous avons parlé des explications de sir James Graham ; M. Sidney Herbert et M. Gladstone en donnèrent de semblables. « Votre comité, disait M. Herbert, ne sera qu’un immense avortement. Je vous défie d’aller jusqu’au bout, ou bien vous ne le ferez qu’au risque de désorganiser votre armée, et d’ébranler la confiance ou de blesser la susceptibilité de vos alliés. » M. Gladstone démontra aussi que l’enquête devait, si elle était sérieuse, faire passer le pouvoir exécutif des mains du gouvernement dans celles de la chambre, et il exposait à cette occasion avec une admirable sagacité les règles de conduite qui seules ont maintenu jusqu’ici la constitution anglaise : « On me demandera, disait-il, où est la constitution ? Est-elle dans Blackstone ? ou dans Delolme ? ou dans Hallam ? Dans quel livre et quel auteur la trouve-t-on ? Je répondrai qu’une grande partie de l’esprit vivant de cette constitution se trouve dans les usages elles précédons de la chambre. Avec les pouvoirs qu’elle possède, la chambre a, si elle le veut, la faculté de bouleverser le pays entier ; mais c’est précisément les limites qu’elle impose à sa propre prépondérance qui la font vivre, et lui permettent de garder ses énormes prérogatives sans écraser celles des autres pouvoirs… » Dans ce peu de mots est toute la philosophie de la constitution anglaise, qui a l’insigne bonheur de n’être pas écrite.