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Pendant ces harangues passionnées, lord Palmerston conservait toute sa présence d’esprit et tout son esprit. Il suggérait malicieusement l’idée de prendre au mot les admirateurs de la convention française, et d’envoyer en Crimée M. Layard, M. Drummond, M. Roebuck et les hommes les plus incommodes de la chambre, ce qui eût été une excellente manière de se débarrasser de leurs questions ; mais lord Palmerston lui-même dut bientôt comprendre que l’esprit était hors de saison, et que la pression du dehors serait la plus forte. Il capitula, et la transaction à laquelle il se soumit amena une nouvelle crise ministérielle.

On a vu que des anciens disciples de sir Robert Peel et des amis personnels de lord Aberdeen, trois étaient restés dans le cabinet de lord Palmerston. Tous trois avaient compris la proposition d’enquête comme elle était généralement comprise dans le parlement, c’est-à-dire comme ayant pour objet la dissolution de l’ancien ministère, et une satisfaction, juste ou injuste, donnée à l’opinion publique ; mais ils croyaient et avaient le droit de croire qu’une fois ce sacrifice expiatoire accompli, le gouvernement combattrait l’enquête, d’autant plus que lord Palmerston tout le premier l’avait combattue. Pour eux, l’accepter était non-seulement abdiquer les fonctions du pouvoir exécutif, mais c’était aussi se faire les complices d’un acte d’accusation contre leurs amis. Quand donc lord Palmerston, cédant à la clameur publique, mit bas les armes et capitula avec le comité d’enquête, M. Gladstone, sir James Graham et M. Sidney Herbert donnèrent leur démission de ministres, et le gouvernement retomba aussi avant que jamais dans les difficultés d’où il venait à peine de sortir. On recommença à battre les cartes et à chercher des lords ; le spectacle d’anarchie qui avait tout récemment scandalisé et troublé le pays fut donné de nouveau. La chambre elle-même présentait le tableau d’une classe d’écoliers sans maître et sans règle, et le jour où lord Palmerston venait annoncer la nouvelle composition de son cabinet, quand on le vit entrer, tout le monde se mit à rire, et on cria : « Encore une crise ! »

Ce n’était pourtant pas le moment de rire. Le pays grondait et commençait à se remuer. Comme des chœurs de Romains dans les tragédies, il sortait des masses de sourds murmures, et des bandes affamées parcouraient des quartiers de Londres en faisant fermer les boutiques. Pendant que les grands hommes d’état jouaient aux portefeuilles, les classes travailleuses commençaient à sentir le poids de la guerre. Nous laisserons parler ici un homme qui, presque le seul au milieu du mensonge universel, avait le courage de dire quelques vérités cruelles. Nous n’ignorons pas que M. Bright est un quaker et un membre du congrès de la paix, mais il n’en est pas moins