Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous les éloges dont le noble lord a inondé ses collègues ne sont que la répétition de ce qu’il a déjà dit il y a quinze jours… » M. Duncombe, un aristocrate radical comme il y en a quelquefois en Angleterre, déclara que si la chambre abandonnait l’enquête, le pays se regarderait comme trahi. « Je crois, ajouta-t-il, que dans cette question le pays veut dire une chose, et le gouvernement une autre ; on ne s’entend pas, et cela pourra engendrer des difficultés… » Dans une autre séance, on ne craignit point de faire appel aux souvenirs de la révolution française : « Quand l’armée française, dit M. Layard, sous la révolution, se trouva réduite à l’état dans lequel est aujourd’hui la nôtre, que fit la convention ? Elle y envoya des commissaires pris dans son sein, des hommes qui n’avaient point des considérations de parti, qui s’inquiétaient peu des influences aristocratiques, déterminés à punir les coupables, quels qu’ils fussent, et qui les punirent. Qu’arriva-t-il ? C’est qu’au bout de peu de mois cette armée accomplit des prodiges inouis dans l’histoire. Il faut que nous fassions ce que fit la convention… On nous dit que nous ne sommes pas habitués aux grandes campagnes, que l’armée anglaise ne peut pas faire ce que fait l’armée française. Ce n’est pas vrai. Est-ce que nos campagnes dans l’Inde ne valent pas celles des Français dans l’Afrique ? Est-ce qu’il y a en Afrique une plus grande bataille que celle de Sébron, une plus grande campagne que celle de l’Afghanistan ? Par une misérable jalousie, vous n’employez pas les hommes qui ont sauvé vos colonies et maintenu l’honneur du pays. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas au service de la couronne, mais à la solde de la compagnie des Indes ! Et pour cela, vous laissez de côté des hommes qui ont fait glorieusement la guerre, et vous prenez des généraux de soixante-dix ans qui n’ont jamais fait de campagnes, qui savent à peine faire manœuvrer un régiment, mais qui ont de l’influence parlementaire et de bonnes relations. Un pareil état de choses est monstrueux, il est intolérable. On me dit que je veux abattre l’aristocratie : non, je veux la sauver. Un des hommes les plus éminens de ce pays a écrit il y a trois mois : Soyez sûr que si cette armée périt, ce sera le plus grand coup qu’ait jamais reçu l’aristocratie anglaise. — Sachez-le bien, vous avez soulevé une voix que vous aurez plus de peine que vous ne croyez à faire taire. Il y en a qui disent : C’est la faute du Times ! Charles Ier, lui aussi, disait : « Ce sont ces prêcheurs puritains qui font la révolution, » quand c’était la révolution qui faisait les puritains. Ce n’étaient ni Voltaire ni Rousseau qui créaient le mécontentement du peuple français, c’était le sentiment de la France qui faisait Voltaire et Rousseau. Eh bien ! c’est aussi l’indignation publique qui donne une voix au Times. Faites comme lui, vous serez écoutés comme lui… »