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conserver les services de mon honorable ami le chancelier de l’échiquier et ceux de mon honorable ami le premier lord de l’amirauté, qui n’ont point besoin de panégyrique de ma part… » Après avoir ainsi montré l’un après l’autre les personnages, lord Palmerston aborda la question de l’enquête, et, toujours avec la même charmante humeur, il raconta à la chambre l’histoire de Richard II, qui, combattant une bande de ses sujets révoltés dont le chef venait d’être tué, leur avait dit : Mes amis, votre chef est mort ; suivez-moi, je serai votre chef. — « Eh bien ! disait lord Palmerston, je dirai, moi aussi, à la chambre : Laissez là votre comité d’enquête ; c’est moi qui serai votre comité. » On peut se figurer d’ici lord Palmerston cherchant à dérider la chambre et donnant le premier l’exemple de l’hilarité. Par malheur, ce fut un effet manqué ; la chambre fut médiocrement flattée de se voir comparée à Jack Cade, qui était un insurgé d’assez pauvre mémoire, et comme il n’y a rien de plus embarrassant qu’une plaisanterie qui a fait long feu, lord Palmerston eut besoin de toute sa dextérité pour continuer l’exposition de son programme. Il raconta pourtant tout ce qu’il se proposait de faire : il allait envoyer des commissaires en Crimée, des médecins pour visiter les hôpitaux, des balayeurs pour nettoyer le camp, les quais et les rues de Balaklava. En même temps on allait ouvrir les conférences de Vienne, et afin, disait-il, « de donner à ces conférences l’aspect le plus sérieux et le plus solennel, » il y envoyait son noble ami lord John Russell, cet homme si éminent, etc. Enfin, disait-il en concluant, « j’espère que nous donnerons au monde la noble et glorieuse preuve qu’un peuple libre et un gouvernement constitutionnel sont capables de montrer une vie, un courage, une ardeur, une énergie et une persévérance que l’on chercherait en vain sous une domination despotique et arbitraire. »

Dépouillé de sa forme officielle, le langage du nouveau premier ministre voulait dire : « Voyons, entre nous, votre enquête était pour rire. C’était bon pour nous débarrasser de cet ennuyeux Aberdeen ; mais maintenant que je suis là, n’y pensons plus. » Comment en effet la chambre aurait-elle voulu faire de la peine à un homme si aimable, si bien avec tout le monde, si heureux de vivre, si content de lui-même et des autres ? La chambre, en vérité, n’en avait pas grande envie, car elle avait conscience de sa propre complicité dans la comédie ; mais d’un côté les tories comme M. Disraeli, de l’autre les radicaux comme M. Duncombe, l’empêchaient de s’arrêter : les uns lui firent honte, les autres lui firent peur. « Pourquoi, dit M. Roebuck, nous demande-t-on de nous rétracter ? Parce qu’il y a un nouveau ministère ? Mais je nie qu’il y en ait un nouveau. On a battu les cartes, voilà tout ; mais ce sont toujours les mêmes joueurs.