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Le livre de M. John Stuart Mill a eu du succès en Angleterre, et il fallait y prémunir l’opinion contre les fausses idées qu’il essaie de propager. En France même, les résultats de l’expérience administrative sont peu connus, et méritent certainement de l’être. Trop de gens se trouvent encore, en ce qui touche aux associations, sous l’empire de récits plus remplis de sentiment que de vérité, et ne connaissent rien du démenti brutal que leur a infligé la marche naturelle et irrésistible des choses.


III. — IDÉES DE M. MILL SUR LE PRINCIPE DE POPULATION.

Ce n’est pas seulement sur la question de l’association que les faits me semblent donner tort à M. Mill. J’ai encore à discuter avec lui un des points les plus délicats et les plus controversés de la science économique, — le principe de population. Cette fois la question est bien anglaise, et l’auteur s’y montre Anglais au plus haut degré : il se prononce pour les vues de Malthus, et les pousse à outrance. D’après lui, c’est dans les excès de population qu’il faut chercher la cause principale des misères humaines ; c’est dans la limite de la population que se trouvent le remède le plus efficace de ces misères, le salut des générations, la vie des sociétés. Si les produits encombrent trop souvent les marchés, si le salaire ne s’élève pas à un taux plus avantageux pour l’ouvrier, si la part du travail des mains est si minime dans la distribution des profits industriels, c’est aux excès de population qu’il convient de s’en prendre, et non à d’autres motifs. Une fois cette donnée admise, M. Mill s’y exalte, il cite quelques exemples très partiels, très circonscrits et par conséquent peu concluans, puis finit par demander à la législation des armes contre une multiplication exubérante, et propose de porter des peines contre ceux qui se permettraient d’avoir des enfans lorsqu’ils sont hors d’état de les nourrir. C’est là un procédé qui rappelle celui d’Hérode, seulement il n’a qu’un caractère préventif.

Il faudrait pourtant s’entendre sur le fond même de ce débat, au lieu de se retrancher derrière de petits chiffres et de petits faits. Ce capital qu’on appelle l’homme est-il, abstraitement parlant, une richesse ou une ruine ? Coûte-t-il plus qu’il ne rend ? Crée-t-il moins qu’il ne détruit ? Voilà la question. Il est vrai que dans ces termes, et d’une manière aussi absolue, il n’est pas un disciple de Malthus qui ne reculât. Ce qu’était le globe avant que l’homme y parût, ce qu’il est devenu sous sa main, chacun peut le voir et l’apprécier, et aucun système, si subtil qu’il soit, ne tiendrait devant d’aussi éclatantes preuves. L’homme n’est pas comme l’animal, qui vit du fond commun et n’y ajoute pas un atome ; l’homme n’emprunte rien à la