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donc qui est bien entendu : la philosophie n’est pas un cas pendable, comme la polygamie, pourvu qu’elle consente à suivre le programme du concile de Trente. Décidément M. Nettement est un grand logicien.

Vous croyez peut-être que les trésors de son argumentation sont maintenant épuisés ? Détrompez-vous. Les paroles jaillissent de sa bouche comme l’eau du rocher frappé par la verge de Moïse. — D’école religieuse, poursuit M. Nettement, n’est pas plus inhabile que l’école démocratique à pénétrer les secrets de l’histoire et de la philosophie, car notre école a produit Mabillon et saint Thomas d’Aquin. L’auteur de la Métromanie avait un frère qui vantait son esprit. C’est sans doute ce souvenir que M. Nettement a voulu évoquer en rappelant les noms de Mabillon et de saint Thomas d’Aquin. Il sait donc l’histoire de par Mabillon, et la philosophie de par saint Thomas. Saint Thomas, il est vrai, n’eût jamais confondu l’idéalisme avec l’idéologie ; mais M. Nettement, en nommant ses parrains, n’a pas besoin de prouver qu’il a lu leurs livres. Des études si arides ne conviennent qu’aux incrédules qui n’ont pas la science infuse.

Terrassé déjà par ces coups redoubles, je devais croire que mon juge me laisserait le temps de respirer. Il a cruellement déçu mon espérance. Julien l’Apostat et Guatimozin, Mabillon et saint Thomas, ne suffisent pas à sa colère. Il me crée une parenté dont je n’ai jamais entendu parler : il fait de moi le neveu de Joseph Planche l’helléniste, pour me dire que je suis plus pédant que mon oncle, sans posséder son érudition. Je demande en vain merci, il se réjouit de mes angoisses et me frappe sans pitié. Une dernière consolation me restait : je consentais à passer pour sévère, pourvu qu’on voulût bien me ranger parmi les héritiers d’Alceste, qui mettait la franchise au-dessus du mensonge ; je pardonnais à M. de Pontmartin, qui m’apportait autrefois ses manuscrits à lire et ses épreuves à corriger, de m’avoir mis sur un bûcher ; je me contentais de l’héritage d’Alceste. M. Nettement m’enlève cette dernière consolation, car Alceste était gentilhomme, et s’il eût vécu de nos jours, c’est M. Nettement qui le dit, il aurait détesté Béranger. Me voilà donc déshérité, car je suis roturier, et j’ai la sottise d’admirer Béranger. Quant au rôle de Philinte, M. Nettement n’en veut pas. Il n’a jamais flatté, il ne flattera jamais personne, nui en douterait ? qui oserait contester sa franchise farouche ? N’a-t-il pas traité avec la dernière rudesse MM. Guizot, Thiers et Mignet, MM. Cousin, Rémusat et Vitet ? Ce n’est pas lui qui leur ménage la vérité. J’avouerai pourtant que, pour accepter ses éloges, il ne faut pas se montrer difficile sur la qualité de l’encens, car M. Nettement loue avec la même ferveur M. Amédée Gabourd et M. de Conny, dont la balance s’aiguise parfois en épée. Sans doute une telle métaphore suffit pour établir la valeur littéraire de M. Nettement. Cependant, si, comme on nous l’assure, l’Académie française songe à faire de lui un lauréat pour son dernier livre, et même lui promet un fauteuil, elle fera bien d’y regarder à deux fois, car je doute que Dumarsais eût applaudi la balance qui s’aiguise en épée. C’est vraiment trop de hardiesse, même pour l’héritier de Bossuet.

GUSTAVE PLANCHE.


V. DE MARS.