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défaut de Don Garcia et de la Conjuration des Pazzi, n’y joint-elle pas Saül, un des chefs-d’œuvre d’Alfieri ?

Plus heureux pour la comédie, nous avons vu à peu près ce que Goldoni a fait de mieux : Un Curioso Accidente (une Curieuse Aventure), la Locandiera (la Maîtresse d’auberge), Il Burbero benefico (le Bourru bienfaisant). Si l’on ajoutait la Bottega del Caffé (le Café) et une des trois parties de la trilogie intitulée Zelinda e Lindoro, nous n’aurions rien à regretter. Goldoni n’est pas un Molière : le Bourru bienfaisant, son chef-d’œuvre, est remarquable par une belle peinture de caractère ; mais il manque de mouvement et d’entrain, excepté dans une ou deux scènes. L’exposition d’une Curieuse Aventure est interminable, et, malgré quelques effets comiques, l’intérêt y naît trop tard. La Maîtresse d’auberge, inférieure peut-être à la lecture, se soutient mieux à la scène. C’est un tableau de mœurs et, jusqu’à un certain point, une peinture de caractère, car Mirandolina est une Célimène de bas étage, telle que pouvait être cette impérissable coquette, cent ans plus tard, dans une auberge de Florence.

Deux tragédies remarquables d’Alfieri, quelques-uns des chefs-d’œuvre de Goldoni, ce sont là sans doute de précieux élémens d’intérêt qui pourraient suffire à expliquer le succès des représentations italiennes. Une grande part dans ce succès doit néanmoins être faite au jeu des acteurs, et c’est sur ce point qu’on nous permettra d’insister, puisque c’est à l’interprétation, plus encore qu’aux œuvres mêmes, que se sont adressés les applaudissemens du public.

Ceux qui se rendirent des premiers aux représentations de la compagnie sarde s’attendaient à une exubérance de cris et de gestes qu’on croyait inséparables de la vivacité italienne ; ils ont été agréablement surpris de trouver chez presque tous tant de sobriété et de naturel. On craignait aussi que l’ensemble ne fut insuffisant : on en a au contraire été satisfait. On a trouvé surtout que chaque artiste faisait preuve d’une abnégation personnelle inconnue à nos acteurs, et qui ne contribue pas médiocrement au succès général. L’exécution de la tragédie n’a pas fait trop regretter le Théâtre-Français. Si les sociétaires de notre première scène gardent quelque supériorité, c’est dans la comédie, et cela nous parait tenir principalement à deux causes : en premier lieu, au manque de variété qu’on peut signaler dans le jeu des Italiens. On a déjà reproché à l’un de jouer ici de ses rôles presque constamment assis dans le même fauteuil ; à un autre, de s’asseoir à l’écart tandis que ses interlocuteurs parlent, et de ne se lever que lorsque c’est son tour de parler. Il faut leur dire à tous que cette monotonie dans les mouvemens scéniques, dans les gestes, dans les inflexions de voix, est mortelle pour le comique. La seconde cause, c’est que les Italiens semblent manquer de cette tenue un peu raide et guindée que les peuples du Nord appellent distinction ; mais peut-être cette qualité est-elle incompatible avec la vivacité d’allures naturelle à nos voisins, et dans ce cas, s’il est permis de constater le fait, il serait injuste d’y voir un défaut, au point de vue italien.

Ces observations sont sans doute un peu vagues, fin étudiant de près chacun des principaux acteurs, il sera possible d’apporter, dans la critique connue dans l’éloge, plus de précision. Mme Adélaïde Ristori, par exemple,