aperçoit et se met à bafouer son héros. « C’était, dit-il spirituellement, c’était le destin de notre Robert qu’il donnait toujours le ton pendant que les autres jouaient la musique, et nous serions presque tenté de l’appeler le maître de chapelle sans le savoir. » Que vous dirai-je enfin ? Les choses en viennent à ce point, que Bertram, enivré de son amour, enivré aussi des leçons du philosophe, va les retourner contre lui avec nue logique effrontée. Un jour il a vu couler les pleurs d’Elisabeth, à la suite d’une discussion passionnée entre elle et Robert. C’est à Robert qu’il s’adresse, c’est à lui qu’il demande compte du trouble de la jeune femme. La scène, ce me semble, est originale.
« — Dis-moi ce qui fait pleurer cette Femme, s’écria soudain Bertram avec une fureur qu’il ne contenait qu’à peine.
« — C’est un point sur lequel je n’aurais pas de comptes à te rendre, répondit Robert avec hauteur, si je n’avais un avertissement à le donner à ce sujet.
« — Tu n’aurais pas de comptes à me rendre au sujet des pleurs d’Elisabeth ! s’écria Bertram, saisissant avec fougue la première partie de sa réponse et ne faisant pas attention aux derniers mots. En vérité, le crois-tu bien ?
« — Elisabeth est ma femme, et un léger différend qui fait couler quelques larmes des yeux d’une femme ne donne pas le droit à un tiers d’intervenir entre les deux époux.
« — Ne donne pas de droit à un tiers ! un léger différend ! quelques larmes des yeux d’une femme ! » Le peintre répétait ces mots comme s’il n’avait pu en pénétrer le sens. » Ah ! sais-tu bien ce que pèsent les larmes d’Elisabeth ? Elles pèsent plus qu’un monde,… plus que ta propre vie, ajouta-t-il à voix basse. » Et en disant cela, il prenait le philosophe au collet et lui serrait violemment la gorge.
« — Lâche-moi ! » cria Robert. Et se débattant avec Bertram, il échappa à son étreinte. — Tu es une nature violente, ajoute-t-il, il y a longtemps qu’un le sait.
« — Oui, rien de plus logique ! répliqua Bertram avec un sauvage éclat de rire. Je dois te sembler violent, à toi qui ne saurais t’élever à l’amour véritable.
« — L’amour que je ne connais pas, c’est l’amour aveugle ; le mien est clairvoyant.
« — c’est pour cela qu’il ne voit que lui-même et son intérêt propre. Dis-moi, philosophe, de quelle école ou de quelle époque tiens-tu le droit d’arracher à cette créature charmante des larmes dont personne ne doit se soucier ? Est-ce du temps de l’esclavage antique ou du monde féodal ?
« — Cette créature charmante est ma femme, et, comme telle, elle a ses droits et ses devoirs.
« — Parfait ! parfait ! répliqua Bertram amèrement. Et pourquoi est-elle ta femme ? Parce que le personnage que voilà a comparu avec elle devant un autel, et que là, en présence, d’un Dieu qui n’est nulle part, ou bien en invoquant ces puissances morales que l’on peut tourner et retourner comme