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Dieu ? Tel est l’avis de Schwacberlein et de Fischmann ; mais l’amour a enseigné à Robert une délicatesse de sentimens que ses amis ne lui connaissaient pas. Il lui répugne d’arracher si brusquement du cœur de la jeune femme les pieuses croyances qui l’ont nourrie. Il admet en principe qu’Elisabeth, un jour ou l’autre, devra être introduite dans le sanctuaire de l’humanisme, et que la science alors la délivrera de cette foi puérile à un Dieu personnel. Qu’on veuille bien seulement ne pas brusquer les choses ; un libre commentaire des enseignemens de l’église peut la mener tout doucement au cœur des vérités hégéliennes. C’est ainsi qu’on discute les destinées religieuses et morales d’EIisabeth. O chaste et confiante créature ! ton mari veut bien te défendre encore ; tu ne seras initiée que par degrés à la doctrine qui doit l’enlever ton Dieu ! — Tout cela est faux, dira le lecteur français ; dans quel monde vit-on jamais des scènes pareilles ? Dans quel monde un galant homme, un mari jeune et amoureux de sa femme a-t-il jamais permis les insolences d’une telle discussion ? Celui-ci ne les permet pas ; il les provoque et s’y complaît. Ne sont-ce pas là les inventions d’un cerveau malade ? Je réponds que nous sommes en Allemagne, et dans cette partie de l’Allemagne où tous les délires de l’esprit sont possibles. N’oubliez pas que Hubert et ses amis nous représentent une société à part, une société subtile, fantasque, extravagante, et aussi réelle cependant que le monde des avocats et des banquiers. On n’invente pas des scènes comme celle que je viens d’indiquer. L’Allemagne s’est reconnue dans ce tableau ; on m’assure même que ces personnages ne sont pas des types, mais des portraits fidèles. Je reviendrai tout à l’heure sur ce point. Ce qui est bien certain, c’est qu’il y a là une étude attentive de la réalité, une enquête scrupuleuse et pénétrante sur un des plus singuliers épisodes de l’histoire intellectuelle de ce temps-ci.

Robert a donc promis d’initier progressivement sa femme à la pratique du panthéisme. Un des premiers degrés de l’initiation, ce sera le culte de l’art. Qu’on se garde bien de croire que le culte de l’art soit tel une expression métaphorique ; il faut prendre ces mots à la lettre. Ce Dieu qui se manifeste dans le genre humain, au dire des apôtres de l’hégélianisme, y est trop souvent obscurci, lui attendant que les progrès de l’avenir le mettent en pleine lumière, admirons les chefs-d’œuvre où resplendit la face de l’homme ; c’est là que s’accomplit le vrai miracle de la transfiguration, dont l’épisode du Thabor n’est qu’un magnifique symbole ; c’est là que nous jouissons de nous-mêmes et de notre divinité. Ces théories des brillans fantaisistes de l’athéisme ont joué récemment un grand rôle dans la philosophie allemande. Il y a toute une école de critiques littéraires qui les développe encore avec enthousiasme, et l’auteur fait preuve d’une rare finesse en nous montrant à l’œuvre cette religion de la poésie.