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mission, la mission qui s’est formée sous le coup des révolutions de 1848 se propose une tâche plus précise, et le domaine qu’elle s’attribue est bien autrement vaste. Elle a sans doute à s’occuper des pauvres, elle embrasse maintes œuvres de bienfaisance, mais ce ne sont pas seulement les misères du corps qu’elle veut essayer de guérir ; les riches, les heureux, les puissans du monde sont aussi l’objet de sa vigilance attentive et de son action infatigable. — Ainsi parlait M. Wichern en son éloquent manifeste. Peut-être un jour raconterai-je cette croisade, quand nous aurons des documens plus nombreux entre les mains, et qu’il sera possible d’en apprécier l’ensemble ; aujourd’hui c’est un épisode particulier que j’ai en vue, un brillant épisode littéraire qui se rattache à l’histoire générale des mœurs et des agitations de l’esprit au sein de l’Allemagne philosophique. Le vaillant apôtre avait dit hardiment : — La Mission intérieure aura ses représentans chez toutes les classes de la société allemande. — Le premier représentant de la Mission intérieure dans le monde des universités est un romancier anonyme, et le manifeste ou le programme du missionnaire est un tableau de mœurs très vif, très hardi, très risqué, plus que cela, une satire, une satire à la fois chrétienne et mondaine, publiée sous le patronage et par les soins de M. le docteur Wichern.

Il s’en faut bien que ce roman soit un chef-d’œuvre ; mais il est animé d’une inspiration sincère, véhémente, et il renferme d’incontestables beautés. Au milieu du silence des lettres germaniques, ce livre amer et passionné a produit une impression profonde. On l’a lu, on l’a relu, on l’a discuté avec colère ; il y a bien longtemps, en un mot, qu’une œuvre d’imagination n’a obtenu pareil succès. L’appel de M. Wichern à la nation allemande contenait une phrase qui semblait une menace. « Notre Mission, disait-il, n’est pas l’œuvre de telle ou telle classe ; elle établit son foyer d’action au sein même du peuple, c’est-à-dire de la grande communauté. Dans chaque monde elle aura ses agens, dans chaque monde ses problèmes particuliers à résoudre. Plus elle sera libre en ce sens, plus elle sera résolue à châtier le péché sans acception de personne, à attaquer l’impiété, à poursuivre l’immoralité, à briser l’orgueil des superbes, à faire triompher partout la justice ; plus aussi elle fera battre, en bas comme en haut, le cœur de ceux qui savent ce que c’est que le peuple, et elle pénétrera facilement dans les masures et les palais. » Cet avertissement avait passé inaperçu au milieu des religieuses effusions du missionnaire. Le voilà maintenant mis en action, le voilà devenu un livre, un livre ardent, un tableau accusateur et tout rempli de la colère vengeresse qui grondait sourdement chez l’apôtre irrité. Parcourons ces pages satiriques et suivons l’auteur au milieu de cette