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plus suspects ; non-seulement il donne à des rêves odieux une importance qu’ils ne méritent pas, mais il pousse les choses jusqu’à une indulgence voisine de la complicité. Examine-t-il, par exemple, les systèmes qui ont pour objet de supprimer la propriété individuelle au profit d’on ne saurait dire quelle propriété collective ? M. John Stuart Mill déduit froidement et une à une les objections que l’on peut élever ; il ne les trouve ni graves ni fondamentales, admet que ces systèmes ne sont point aussi impraticables qu’on l’a cru, et que rien ne prouve d’une façon rigoureuse que ce ne puisse être « la forme la meilleure et la forme définitive de la société humaine. » Puis il ajoute : « S’il fallait choisir entre le communisme, avec toutes ses chances, et l’état actuel de la société, avec toutes ses souffrances et ses injustices ; si l’institution de la propriété particulière entraînait nécessairement avec elle cette conséquence, que le produit du travail fût réparti, ainsi que nous le voyons aujourd’hui, presque toujours en raison inverse du travail accompli, la meilleure part échéant à ceux qui n’ont pas travaillé, puis à ceux dont le travail est presque toujours nominal, et ainsi de suite d’après une échelle descendante, la rémunération diminuant à mesure que le travail devient plus pénible et plus rebutant, jusqu’au point où, en retour d’une tâche qui épuise ses forces, l’homme ne peut obtenir avec assurance les moyens de les réparer et les premières nécessités de la vie ; s’il n’y avait d’alternative qu’entre cet état de choses et le communisme, — toutes les difficultés du communisme, grandes ou petites, ne seraient qu’un grain de poussière dans la balance. »

Ainsi parle M. John Stuart Mill, et ne croirait-on pas entendre un écho affaibli de déclamations dont le bon sens public a décidément fait justice ? Placer sur le même rang cette monstruosité que l’on nomme le communisme et un ordre social, imparfait sans doute et sujet à beaucoup d’améliorations, mais viable du moins et consacré par l’épreuve des siècles, est-ce le fait d’un homme réfléchi, d’un esprit sérieux, d’un économiste ? Qu’importent les conclusions, quand on fait à ses adversaires une si belle part ? Est-on bien venu à condamner les sectes dont on emprunte le langage ? Ce n’est guère qu’une inconséquence de plus. Probablement M. John Stuart Mill espère racheter tant de concessions par cette déclaration dogmatique, que la victoire restera, en fait de régimes, à celui qui assurera à l’homme le plus de liberté et le plus de spontanéité. À une sentence si pleine de candeur on ne peut opposer que le sourire. L’écrivain anglais en est-il à savoir que le communisme est précisément l’abolition de toute spontanéité et de toute liberté, et qu’à moins d’exercer une grande violence sur la raison humaine, on ne lui fera point admettre que les fruits de l’activité individuelle