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où il reçut la commande de la statue d’Odin, il s’ignorait lui-même, et malgré son ardent amour pour son pays, malgré sa passion pour les légendes scandinaves, il ne savait pas encore s’il lui serait donné de traduire sous une forme harmonieuse la pensée qui avait soutenu son courage pendant toute la durée de ses études à Stockholm. Il voulait doter son pays d’un art national, et la mythologie scandinave s’offrait à lui comme la source première où il devait puiser ; mais comment accomplir sa volonté, comment réaliser son espérance ? L’heure décisive était venue ; son Mercure, envoyé en Suède, avait attiré sur lui les regards de la foule et la bienveillance du souverain. Il s’agissait à justifier, par une œuvre capitale, la popularité naissante de son nom. Fogelberg comprenait toutes les difficultés d’une pareille tacite, et, pour l’accomplir dignement, il sentit la nécessité d’agrandir le champ de sa pensée par de nouvelles études. Tous ceux qui l’ont connu, qui ont visité son atelier, qui ont su lui inspirer assez de confiance pour amener sur ses lèvres l’expression complète de sa pensée, se rappellent à quel point il était sévère pour lui-même. Il ébauchait vingt fois avant de commencer l’exécution définitive. Il était, pour son travail personnel, un juge sans pitié. Quand il entreprit la statue d’Odin, il fit deux parts de son temps ; l’une fut réservée aux études purement historiques, je veux dire aux légendes scandinaves, l’autre à la comparaison des types.réalisés pur l’art antique avec les types consacrés par ces légendes. C’est à ces études parallèles que nous devons la statue d’Odin. Il y a en effet, dans cette œuvre puissante, une alliance heureuse du génie suédois et du génie antique. Fogelberg, tout en respectant les témoignages de la légende, s’est efforcé de concilier ces témoignages avec les lois posées par les grands maîtres de l’art, et nous devons reconnaître qu’il a réussi dans cette tâche difficile.

Pour apprécier toute l’importance d’une telle épreuve, il est utile de savoir qu’en Suède même elle rencontrait une opposition énergique parmi les archéologues. L’ambition patriotique de Fogelberg était considérée par des hommes très doctes, mais peu sensés, comme le rêve d’un esprit malade. On devine donc sans peine avec quelle émotion, avec quelle inquiétude il poursuivait l’accomplissement de sa volonté. Il interrogeait tour à tour Jupiter, Mars, Hercule, pour leur dérober l’expression de la majesté souveraine, de la force et du courage. Rendons pleine justice aux efforts persévérans de Fogelberg. Il est facile d’entrevoir dans la statue d’Odin le souvenir fidèle de l’antiquité, mais en même temps il est impossible de méconnaître l’originalité qui anime toute cette figure. Odin ne peut être confondu ni avec Mars ni avec Hercule. C’est un type nouveau dont la statuaire n’avait pas encore pris possession, une création dans le sens le plus