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et Pierre Guérin lui avaient confirmé, il n’était pas donné à Bosio de l’effacer ou de le réfuter. J’incline même à croire que la comparaison de ce dernier maître avec les deux premiers affermit Fogelberg dans sa foi esthétique. Une telle conjecture n’a rien de téméraire.

Fogelberg repartit enfin pour l’Italie ; il arrivait à Rome en 1820 ; il avait alors trente-trois ans. Ceux qui l’ont connu à cette époque de sa vie se rappellent sa joie et son éblouissement en présence des chefs-d’œuvre de la statuaire antique dont Sergell et Pierre Guérin l’avaient si souvent entretenu. Malgré ses études persévérantes et son goût natif, il éprouvait un embarras singulier que chacun de nous voudrait connaître, l’embarras des richesses ; mais il triompha bientôt de cette première émotion, et la sagacité qui ne l’abandonnait jamais lui désignait au bout de quelques jours les modèles qu’il devait consulter assidûment. Il était venu à Rome pour y passer quelques années, n’espérant pas que la munificence du gouvernement suédois lui permit d’y achever sa vie ; mais Rome avait pour lui un attrait si puissant, qu’il ne put jamais se résoudre à la quitter, si ce n’est pour quelques rares voyages que lui prescrivait l’état de sa santé. Je l’ai rencontré à Rome en 1840 ; il avait alors cinquante-trois ans. Sa conversation était charmante et pleine de feu. Les merveilles du Vatican et du Capitole amenaient sur ses lèvres des paroles qui n’appartiennent guère qu’à la jeunesse. Il y avait dans son goût une délicatesse, une pénétration qui révélaient des facultés éminentes et l’habitude de la réflexion. Son admiration ne se prodiguait pas et ne s’adressait qu’aux morceaux exquis. Je me souviens d’une statue d’Hercule en bronze doré, qui se voit au Capitole, dont le torse et les membres sont percés à jour par la vétusté. Fogelberg ne se lassait pas de l’étudier, et s’étonnait naïvement de l’indifférence des visiteurs pour ce chef-d’œuvre de l’art antique. Il prouvait par de très bonnes raisons que si cet Hercule ne venait pas de Grèce, c’était au moins l’œuvre d’un artiste grec établi à Rome, quelque réplique de Lysippe ou de Polyclète. C’était plaisir de l’entendre parler sur un sujet qu’il connaissait si bien. Tandis qu’il ennuierait toutes les beautés de cet Hercule rongé par un long enfouissement, et qui pour les ignorans n’avait guère plus de valeur qu’une écumoire, son œil s’allumait, et son accent, habituellement empreint de bonhomie, laissait deviner un dédain profond pour les touristes empressés qui prétendent voir Rome en huit jours, et pour les artistes routiniers qui admirent sur parole, sans prendre la peine de s’éclairer par eux-mêmes. Il parlait de ses études sans orgueil, des bévues dont il était témoin sans amertume : aussi chacun se sentait attiré vers lui, et jamais on ne le quittait sans avoir appris quelque chose, car il savait Rome par cœur, et sur chacun de ses monumens il avait fait des remarques