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les dernières années de sa vie, il parlait encore avec reconnaissance des leçons de Pierre Guérin.

Cependant il comprenait la nécessité, avant de partir pour l’Italie, de joindre au maniement du crayon le maniement de l’ébauchoir, et de modeler d’après nature. Je dois avouer franchement qu’il ne fut pas aussi heureux, aussi bien inspiré dans le choix de son second maître que dans le choix du premier. Pour justifier mon aveu, il me suffit de nommer Bosio. Si Pierre Guérin était souvent exclusif, du moins il ne perdait jamais de vue le but élevé que l’art doit se proposer. Bosio n’avait que des idées mesquines, et toutes les œuvres qu’il a laissées le démontrent surabondamment. Quand il avait le titre et les émolumens de premier sculpteur du roi, il comptait de nombreux courtisans, et la foule ignorante le prenait pour un artiste habile. Aujourd’hui ses œuvres sont réduites à leur juste valeur et forcées de se défendre elles-mêmes. Or quiconque a de bons yeux et quelque peu de goût ne peut prendre au sérieux ni la statue de Louis XIV, ni les bas-reliefs du piédestal, ni le quadrige de l’arc du Carrousel, ni même la nymphe Salmacis, qui fut pourtant vantée avec acharnement comme un prodige de finesse. Pour les intelligences qui prennent la peine de réfléchir, Bosio n’est pas même un sculpteur de troisième ordre. Nous avons donc le droit de regretter qu’un esprit aussi délicat que Fogelberg se soit fourvoyé dans l’atelier d’un tel maître. Heureusement pour lui, il n’y demeura pas longtemps, soit que son rêve d’Italie absorbât toutes ses facultés, soit qu’il comprit le néant de cet enseignement. Toutefois, pendant les quelques mois qu’il passa chez Bosio, il eut l’avantage de modeler d’après des types plus riches, plus variés, plus beaux que les types du Nord. Sous ce rapport, ses nouvelles études ne furent pas pour lui sans profit. En effet, si Bosio s’attachait volontiers aux détails les plus puérils de la nature vivante, s’il copiait lui-même et recommandait à ses élèves de copier les moindres plis de la peau, il ne dépendait pas de lui d’appauvrir le modèle ; et comme son atelier, par des raisons étrangères à l’art, était fréquenté par une jeunesse nombreuse, il y avait chez lui un grand choix de modèles. Pour un esprit aussi pénétrant que celui de Fogelberg, cette variété de types compensait largement l’insuffisance et la mesquinerie de l’enseignement. D’ailleurs, après avoir dessiné pendant dix-huit mois chez Pierre Guérin, il n’avait pas grand’chose à redouter des leçons de Bosio. S’il consentait, pour faire preuve de docilité, à l’imitation littérale et prosaïque de la réalité, il savait désormais à quoi s’en tenir sur la valeur de cette imitation, et ne comptait pas la poursuivre obstinément. Le champ de sa pensée s’agrandissait de jour en jour ; ce qu’il avait entrevu par la seule force de son instinct, ce que Sergell