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ses leçons, le préparerait à des études personnelles et libres. Son espérance ne fut pas déçue La voix publique lui désignait Pierre Guérin, l’auteur de Marcus Sextus. Aujourd’hui que les voyages sont devenus plus faciles et plus fréquens, aujourd’hui que nous pouvons, sans quitter Paris, consulter à loisir les plus belles œuvres du ciseau grec et du ciseau romain, grâce aux moulages qui se multiplient, nous avons quelque peine à comprendre l’enthousiasme excité par Pierre Guérin ; mais si nous consentons à nous reporter par la pensée vers l’année 1818, notre étonnement s’évanouit. Pierre Guérin, qui serait aujourd’hui en-deçà des idées accréditées chez les hommes qui ont étudié l’histoire entière de l’art grec et de l’art romain, était, vers 1818, un des esprits les plus avancés de notre pays pour toutes les questions qui se rattachent à l’intelligence, à l’expression de la beauté. On peut donc affirmer que le choix de Fogelberg fut des plus heureux. Si plus tard il sentit le besoin d’élargir le cercle de sa pensée et de secouer peu à peu le joug d’un enseignement exclusif, il n’en est pas moins vrai qu’il trouva dans les leçons de Pierre Guérin une nourriture substantielle. Dévoré d’une soif ardente de savoir, il se plaça résolument sous la discipline de ce maître austère. Dès qu’il eut entendu ses conseils, il les suivit avec la docilité d’un enfant : il comprenait qu’avec un pareil maître l’obéissance absolue était la première condition du progrès. Pendant dix-huit mois, il fréquenta sans relâche l’atelier de Pierre Guérin, dessinant tantôt d’après la bosse, tantôt d’après le modèle vivant, écoutant d’une oreille attentive les moindres avis que le maître voulait bien lui donner, oubliant volontiers qu’il était déjà parvenu à la virilité, ou plutôt trouvant dans le nombre même des années révolues une source nouvelle d’ardeur et d’émulation. S’il entrevoyait quelque chose au-delà des préceptes posés par le maître, il gardait pour lui-même l’idée qu’il avait aperçue, se réservant de la contrôler, de la vérifier plus tard. Quoi qu’on puisse penser des œuvres de Pierre Guérin, il est certain que ses leçons n’étaient pas mauvaises, puisque Géricault et Fogelberg sont sortis de son atelier. De tels élèves suffisent pour démontrer la valeur de l’enseignement qu’ils ont reçu. Tous ceux qui ont connu Fogelberg pendant son séjour en France se souviennent avec admiration de sa persévérance, de son assiduité. Heureux enfin d’avoir trouvé un maître qui le comprenait et qui lui inspirait confiance, il s’efforçait de regagner le temps perdu à l’académie de Stockholm. Il lui semblait retrouver dans la voix de Pierre Guérin un écho de la voix de Sergell ; aussi recommençait-il sans dépit, sans impatience, tous les traits désapprouvés par le maître. Au bout de dix-huit mois, il maniait le crayon avec une rare dextérité, et interprétait le modèle vivant dans le style le plus élevé. Dans