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son âge, qui lui commandait la docilité, puisqu’il n’avait encore sculpté que les légumes rapportés du marché par sa mère, il entama une guerre d’épigrammes contre l’enseignement académique, et les rieurs se rangèrent souvent de son côté. D’ailleurs son indiscipline n’avait rien à démêler avec la paresse. Il se montrait volontiers docile pour tout ce qui regardait les procédés matériels du métier ; mais, dès qu’il s’agissait du choix des types à copier, son instinct railleur reprenait le dessus, et les épigrammes pleuvaient de plus belle.

Il y avait alors à Stockholm un sculpteur d’un mérite éminent, Sergell, dont le talent n’était pas généralement apprécié, et qui plus d’une fois avait eu maille à partir avec les professeurs de l’académie le jeune Benoît, recommandé à Sergell par son père ou entraîné vers lui par la finesse native de son goût, s’enivrait de sa conversation. Le vieux maître, qui dans sa longue carrière avait rencontré de nombreux contradicteurs, encourageait le jeune homme dans sa résistance ; il lui parlait avec enthousiasme de l’antiquité, des débris de l’art grec réunis en Italie, car Sergell avait étudié plusieurs années en Italie. Ces entretiens, souvent renouvelés, firent une impression profonde sur l’esprit de Fogelberg ; dès lors l’Italie devint son rêve, le terme idéal de tous ses vœux. Sur son lit de mort, Sergell lui répétait ce qu’il lui avait déjà dit tant de fois : « Si tu veux connaître la vraie beauté, si tu veux la contempler dans toute sa splendeur, il faut voir, il faut étudier l’Italie. Là, tu trouveras réunis les plus beaux débris de l’art grec, et quand tu en auras pénétré le sens divin, pour compléter ton éducation, tu pourras t’enivrer à loisir de la beauté vivante. Les types merveilleux qui marcheront devant toi t’expliqueront, dans une langue nouvelle, les œuvres du ciseau grec. »

Ces paroles, recueillies avidement de la bouche mourante de Sergell, contiennent le programme de la vie entière de Fogelberg. Tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a voulu, tout ce qu’il a tenté, n’est que l’accomplissement de ce conseil suprême. Toute la vie de Fogelberg, vie laborieuse et magnifiquement remplie, repose sur l’interprétation de l’art antique par la nature, et sur l’interprétation de la nature par l’art antique : c’est-à-dire, pour tous ceux qui ont l’intelligence ouverte, pour tous ceux qui connaissent les conditions fondamentales des arts du dessin, que Fogelberg n’a pas cessé un seul jour de marcher d’accord avec les théories les plus élevées que l’intelligence humaine ait jamais construites sur la notion et l’expression du beau. Sous ce rapport, sa vie et ses travaux nous offrent un vif intérêt. Non-seulement en effet il a entrevu le but vrai, le but suprême de l’art ; non-seulement, éclairé par les entretiens de Sergell, il a compris