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Or, qu’on le remarque bien, il s’agissait en tout ceci de l’idée la plus sublime du sacrifice ; il s’agissait de lui rendre une valeur toute spirituelle, d’en faire le sacrifice de justice, le symbole de l’exaltation et du dévouement de l’âme sous le regard de Dieu. Cela entraînait la réforme et le renouvellement complet de la religion ; cela couronnait l’œuvre entière de l’histoire intellectuelle de la Grèce, qui avait déblayé le terrain pour la construction d’un nouveau temple. Dans Ménandre, comme dans tous ses prédécesseurs, ce travail est mélangé de bien et de mal, de vrai et de faux, de sagesse et d’excès, de confiance et de doute : l’ouvrier travaille sans comprendre son œuvre ; mais cette ignorance des hommes qui, guidés par de courtes lueurs, avancent toujours, et finissent par avoir concouru, avec d’autres ouvriers qu’ils ne connaissaient pas, aux plus grandes évolutions de l’humanité, n’est-elle pas elle-même le signe le plus visible de la Providence qui dirige nos mouvemens libres et en assemble les résultats ? Bossuet a montré comment de grands obstacles matériels furent levés par les révolutions des empires et l’agglomération des conquêtes ; mais il y avait dans les mythologies antiques bien d’autres obstacles, et c’est la philosophie grecque qui les a surmontés avec le concours de la poésie et des arts. À l’époque de Ménandre, cette révolution interne est à peu près accomplie ; les chefs de la pensée comprennent que tout est détruit ; une fermentation universelle annonce un effort de vie qui cherche à tout refaire. L’étude positive de l’homme, le souverain bien proposé comme but unique des recherches, ont placé la loi morale comme un point central mieux éclairé, vers lequel tout devra désormais converger, et dont les nouveaux symboles seront nécessairement l’expression. Les facultés de l’homme, ramenées à leur pureté primitive, devront être l’image finie des attributs infinis de la Divinité, et quelque jour de grands hommes, portés par de grands événemens, exaltés par de grandes calamités, seront chargés de rassembler dans un seul foyer toutes les lumières éparses.

Tel est, selon nous, le dernier fruit de l’étude des littératures anciennes : c’est par là qu’elles se rattachent à l’état moral de la société actuelle, qu’elles en éclairent l’avenir, et qu’elles montrent une constante unité de mouvement dans l’histoire européenne, dont les poèmes d’Homère deviennent ainsi la merveilleuse préface.


LOUIS BINAUT.