Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leur passé, ne se mettent pas assez promptement en rapport avec ces nouveaux élémens devenus invincibles : alors l’esprit d’anarchie s’en empare, et on tombe dans une période de confusion et de désordre qu’il faut traverser pour retrouver la voie. C’est ainsi que l’infériorité des femmes, contractée et maintenue par les coutumes traditionnelles du gynécée, avait laissé une position à prendre à ces courtisanes célèbres, et ce brillant scandale doit être compté pour beaucoup dans l’avortement de tant de magnifiques efforts de l’intelligence que la Grèce tenta pour l’avenir, mais dont elle ne put pas profiter pour elle-même.

Que de soupçons réciproques, que de révoltes intérieures, que de rigueurs nouvelles devaient sortir de cet état de choses ! La femme ne voulait plus être cloîtrée ; elle menaçait de se venger. Les maris n’en étaient que plus exigeans, et perfectionnaient la garde du gynécée. « Voici déjà, dit une de ces conspiratrices dans Aristophane, que nos maris mettent des serrures et des verrous à nos gynécées ; ils nourrissent de gros chiens molosses pour nous garder, et pour faire peur aux amans qui voudraient pénétrer jusqu’à nous ! » Dans Ménandre, une autre femme raisonne fort bien sur ce sujet : « Un homme sage, dit-elle, ne doit pas trop cloîtrer sa femme au fond de sa maison : c’est alors qu’elle devient curieuse des plaisirs du dehors ; mais si on la laisse circuler librement, tout voir et aller partout, sa curiosité satisfaite la préserve des mauvais désirs. Les hommes eux-mêmes ne sont-ils pas plus friands de ce qu’on leur refuse ? Celui qui croit garder sa femme sous les verrous et les serrures se trompe, et avec toute sa sagesse il n’est qu’un imbécile. Quand notre cœur est dehors, nous savons bien l’y suivre, promptes comme une flèche ou un oiseau ; nous tromperions les cent yeux d’Argus. Alors qu’arrive-t-il ? A tous vos chagrins le ridicule s’ajoute ; le mari reste sot, et la femme est envolée. »

On sait que Molière étudiait Ménandre ; c’est ici qu’il a pris quelques-unes de ses maximes : que

Les verrons et les grilles
Ne font pas la vertu des femmes et des filles ;


et qu’il ne faut pas s’imaginer, comme dans l’École des Maris,

Quand nous nous mettons quelque chose en la tête,
Que l’homme le plus fin ne soit pas une bête…


Mais ces emprunts n’ont plus dans nos mœurs modernes la même signification que dans Ménandre. Sganarelle n’est qu’un bourgeois bourru et bizarre ; la clôture des femmes n’est ici qu’un motif d’intrigue