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et l’instruction, ces femmes devinrent les idoles de tout ce qu’il y avait de plus illustre parmi tant d’hommes illustres. Cela seul révélait déjà le vrai mal qui rongeait la famille, et peut-être indiquait le remède. Aspasie arriva de Milet à Athènes ; elle reçut chez elle tous ces grands esprits du plus beau siècle, Périclès, Socrate et les autres. C’était peut-être, à raison de l’état des mœurs, aller déjà trop loin ; mais du moins sa maison offrit, pour la première fois, le spectacle d’une mission plus élevée conférée à la femme par la culture intellectuelle. Périclès répudia sa femme pour épouser Aspasie, et les larmes qu’il versa devant ce peuple qu’il savait si bien dominer, lorsqu’elle fut accusée par des envieux, témoignent de la grandeur de son attachement. On dit que des citoyens du plus haut mérite allèrent jusqu’à conduire chez Aspasie leurs femmes, pour essayer de les exciter à s’élever de même, et à sortir de leurs habitudes trop vulgaires ; mais cette tentative, louable dans son principe, était probablement un jeu dangereux. À ce moment où la démocratie devenait la maîtresse, où toutes les croyances étaient contestées, où le bien et le mal se produisaient confusément avec une énergie croissante, où les traditions des anciennes mœurs tombaient dans le mépris, il était trop tard pour refaire l’éducation des femmes par la société même, et la femme grecque ne pouvait plus arriver à la dignité de la matrone romaine. Qu’arriva-t-il ? Que les courtisanes s’emparèrent de la place restée vide. Ces femmes corrompues s’armèrent, pour établir leur puissance et leur fortune, de toutes les séductions que l’esprit et les talens ajoutaient à leur beauté. Auparavant, le vice trouvait le moyen de se satisfaire par les esclaves et la prostitution. Les courtisanes promettaient des jouissances en apparence plus délicates, et faisaient naître de la volupté de véritables passions, par ce prestige nouveau des plus nobles facultés consacrées à la glorification du vice.

Ainsi les anciennes coutumes de la famille lui étaient devenues plus funestes que jamais dans une société autrement faite, parce qu’elles ne s’étaient pas modifiées à temps avec les circonstances et n’avaient pas profité des conquêtes successives de l’esprit. Le partage était déplorablement fait entre la famille et cette nouvelle puissance qui en corrompait le principe : la mère de famille avait les usages surannés et les occupations de l’ordre le plus inférieur ; la courtisane avait tout l’attrait de la conversation, l’influence de l’intelligence exercée et embellie, par les arts. Il se produisait, on le voit, dans la famille une révolution fort analogue aux révolutions politiques. On sait en effet que quand de nouveaux élémens, formés par le progrès des temps, veulent prendre leur place dans la société, il arrive que certaines parties de l’état, ne sachant point se dégager