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le feu au ciel pour le communiquer aux hommes et pour émanciper ceux-ci par la science. Effectivement tout finit par un chant d’hyménée en l’honneur de Pisthétère, l’homme qui vient d’arracher aux dieux leur souveraineté, et qui épouse Basiléia. Est-ce là une pure folie ? est-ce là une comédie sans objet ? y a-t-il rien de plus clair ? On peut être perplexe sur la question de savoir comment les Athéniens, comment l’aréopage ont pu souffrir une pareille allégorie ; peut-être ne comprenons-nous pas encore assez bien l’esprit des diverses classes intellectuelles à Athènes, quelles influences déterminaient les dispositions du jour et favorisaient la tolérance ; mais ce qui ne saurait être douteux, c’est la signification de la comédie des Oiseaux, unique en son genre sous tous les rapports, et dont, par exception, toutes les parties font un même tout dans la même idée.

À côté des dieux cependant, l’homme, avons-nous dit, a déjà pris une large place dans la comédie. Ceci est un progrès décisif qui la rapproche de sa dernière et définitive transformation. Toutefois la comédie n’offre pas encore la peinture détaillée de l’homme individuel, dans sa vie privée, au milieu des passions, des erreurs et des travers qui sont de tous les temps et de tous les lieux ; avant d’arriver là, il faut passer par l’homme de la vie publique. C’était une transition logique et nécessaire pour les Grecs : depuis que Périclès avait relâché les freins de la démocratie, et que le résultat d’une grande guerre dépendait des décisions du peuple, la politique était le personnage qu’on rencontrait partout. On voit la comédie s’attaquer d’abord à ce qu’elle trouve tous les jours devant elle, à ce qui bruit et s’agite sur la place publique où l’on vote, sous les portiques où l’on cause et où l’on discute. La comédie devient une tribune. « Dépouillez la comédie de ses chœurs, dit Platon[1], de sa musique, de ses dithyrambes : que reste-t-il du poète comique, sinon un orateur politique qui agite le peuple du haut de son théâtre ? » Pourtant dans cette comédie, en quelque sorte oratoire et de tribune, n’y avait-il pas déjà quelque chose de plus qui se produisait de soi-même, en vertu de cette force intime de l’art qui le conduit à son achèvement et à sa maturité ? Oui, et ce qu’on entrevoit déjà au milieu de ces lignes simples, de ces traits heurtés, ce sont les détails, les nuances : l’homme privé se glisse et se découvre parmi les hommes politiques.

On a dit avec raison qu’Aristophane créait des personnifications plutôt que des caractères ; d’accord, mais ces personnifications sont vivantes, et ont par conséquent quelques traits caractéristiques. Il y a même des personnages qui sont déjà des caractères, et des scènes qui

  1. Dans le Gorgias.