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nuancé les couleurs. Les anciens racontaient que le peintre Pausias se plaisait à jouter avec une bouquetière d’Athènes, nommée Glycère, qu’il aimait, à qui assortirait mieux des fleurs, lui sur la toile, elle dans sa corbeille. L’auteur de la mosaïque du Vatican semble avoir voulu le disputer à la fois à Pausias et à Glycère. Celle-ci, du reste, a trouvé aussi des rivales dans les paysannes du village de Gensano, près de Rome, qui, jusqu’à ces derniers temps, improvisaient en une matinée les plus charmans tapis du fleurs pour la procession de l’Infiorata.

Les Romains ont, comme je le disais, fait un grand usage de l’art de la mosaïque, emprunté par eux aux Grecs. Cet art leur convenait ; il exigeait une qualité qui a fait partie de leur grandeur, la patience, et avait un mérite qui était le plus grand à leurs yeux, la durée.

Si, passant des statues et des peintures aux édifices de l’ancienne Rome, on cherche quelle a été l’influence de l’art grec sur l’art romain, cette étude offrira quelques résultats important pour l’histoire de l’art. Un assez grand nombre de ces édifices subsiste, au moins à l’état de ruine, et, en raison des conditions symétriques de l’architecture, des ruines suffisent pour qu’on puisse restaurer par la pensée et juger les monumens.

De plusieurs de ces monumens, on sait qu’ils avaient été construits par des architectes grecs. Sous la république, le Grec Eunodus avait bâti un temple de Mars, comme sous l’empire Apollodore éleva la colonne et la basilique de Trajan. Nous avons encore la signature hiéroglyphique de deux artistes grecs sculptée dans les chapiteaux des colonnes de Santa-Maria in Trastevere. Avant de servir à la construction de cette basilique chrétienne, elles avaient appartenu à un temple antique. Ces deux Grecs, dont l’un se nommait Sauros (lézard) et l’autre Batrachos (grenouille), désiraient inscrire leurs noms dans le temple qui était leur ouvrage. La sévérité du sénat ne le permit pas. Alors ils imaginèrent de glisser parmi les ornemens des chapiteaux un lézard et une grenouille. Ce rébus sculptural, qui exprimait ainsi d’une manière détournée le nom des deux ingénieux architectes, le retrace encore à nos yeux. Leur ruse a réussi.

Le génie des arts ne fut jamais indigène sur cette rude terre dont la gloire devait se borner deux fois à gouverner l’univers. Sous les papes comme sous les consuls et les empereurs, Rome a fait bâtir ses temples par des artistes étrangers, en général par des Toscans ; les Toscans étaient les descendans des Étrusques et furent un peu les Grecs du moyen âge. Florence a été l’Athènes du XVe siècle. Rome, qu’on appelle la patrie des arts, ne fut point celle des grands artistes. Au temps de Léon X, ainsi qu’au siècle d’Auguste, elle n’en a pas enfanté beaucoup, de même qu’à ces deux époques elle a été peu féconde en grands écrivains et en grands poètes. Ni Michel-Ange, ni Dante,