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ses paysages l’aspect grandiose, ce sont les bas-reliefs romains qui lui ont inspire la poésie de ses Bacchanales. Dans ses jeunes filles rassemblées près du puits où Éliézer vient trouver Rébecca, on reconnaît les robustes paysannes de la Sabine avec leur attitude fière, leur col droit, leur tête bien assise, qui porte sans fléchir le vase à la forme antique, telles qu’un peintre plein d’âme et de talent, M. Hébert, vient de représenter ses Jeunes filles d’Alvito. La svelte élégance du type grec est restée étrangère au génie sévère du Poussin. Il a vécu trente ans à Rome, et on n’aurait pu écrire sur sa tombe l’épitaphe que, dans une de ses compositions immortelles, il a ingénieusement tracée sur le tombeau d’un berger : Et ego in Arcadia (et moi aussi, j’ai vécu en Arcadie). L’austère artiste n’a pas vécu en Arcadie. Un autre maître français, son contemporain, qui n’avait jamais vu la Grèce ni l’Italie, inspiré par son heureux et flexible génie, Lesueur, a su cependant faire passer dans ses compositions mythologiques quelque chose de la grâce grecque, comme tout l’ascétisme du moyen âge est empreint dans cette suite de tableaux où son pinceau a retracé la légende monastique de saint Bruno.

On pourrait presque dire la mosaïque un art romain, tant les Romains ont employé ce mode de décoration. Néanmoins les Grecs, tel encore, ont été leurs maîtres et leurs modèles. La mosaïque, trouvée il y a vingt-quatre ans à Pompéi, qui représente le combat de Darius et d’Alexandre, et qui nous offre le seul ou au moins de beaucoup le plus considérable tableau d’histoire qu’ait laissé l’antiquité, cette belle mosaïque doit être de travail grec, comme le sont en général les peintures de Pompéi et d’Herculanum. Pline parle d’un mosaïste grec célèbre, Sosos, et, par un hasard heureux, un de ses ouvrages les plus renommés parait nous être resté : je veux parler des trois colombes buvant dans une coupe, qui sont au musée du Capitule. Une autre mosaïque représente un sujet singulier que Pline nous apprend aussi avoir été traité par Sosos : c’est la chambre non balayée, c’est-à-dire l’imitation d’un plancher sur lequel seraient épars les débris d’un repas. On voit là des coquillages, des os de poulet, des arêtes de poisson et des feuilles de salade ; l’on dirait une peinture hollandaise en mosaïque. Sosos n’est cependant pas l’auteur de celle-ci, elle est d’Héraclite, Grec aussi, dont le nom y est inscrit, et qui avait reproduit l’ouvrage vanté de Sosos.

Les mosaïques romaines ont moins de finesse. Les petits cubes de marbre sont plus gros. Ici, leur ténuité est extrême : il en tient sept mille cinq cents dans une palme carrée. Cette différence dans la perfection et le fini du travail, qui existe entre les mosaïques des Grecs et celles des Romains, porterait à attribuer aux premiers une corbeille remplie de fleurs qui décore le pavé d’une des salles du Vatican. Jamais peintre de fleurs n’a plus délicatement formé et