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opposée. Après un court séjour à Sedan, il alla rejoindre l’armée royale, alors aux ordres du maréchal de Turenne, et il contribua de sa personne au siège et à la reddition de Bar-le-Duc ; puis il s’achemina vers Paris, mais avec lenteur, et après avoir provoqué la chute de quelques places livrées à l’Espagne par la complicité de la fronde, et qu’il eut l’honneur de reprendre en présence du prince de Condé. Le jeune roi reçut avec une émotion filiale l’homme dont le succès devenait le plus éclatant témoignage du triomphe de la royauté absolue, puisque celle-ci l’avait enfin emporté sur les universelles répugnances de la nation. Paris accueillit le cardinal[1] avec cette adhésion réfléchie plus rassurante que l’enthousiasme parce qu’elle est plus durable, et dans l’Hôtel-de-Ville, encore noirci par l’incendie, il fut offert à Mazarin une fête splendide pour célébrer l’immolation définitive des espérances perdues à la sécurité retrouvée. Dans cette lutte cruelle, les résultats avaient été dans une disproportion si ridicule avec les efforts, et chacun en sortait tellement découragé de ses rêves, ou tellement humilié de ses fautes, que tous abdiquaient avec une sorte de bonne grâce, n’aspirant désormais qu’à faire oublier un passé à charge à tous les amours-propres.

Mazarin était donc parvenu à ses fins : il avait repris le pouvoir, que lui avait gardé durant les orages la persévérance d’une femme dont la conscience avait fini par identifier les inspirations de sa tendresse avec ses devoirs politiques. Il avait vu s’évanouir comme d’eux-mêmes tous les périls amenés par ses fautes, et en présence desquels il s’était presque toujours montré hésitant et incertain. Son heureuse destinée avait mis devant lui des hommes qui commencèrent par compromettre et ne tardèrent point à perdre leur cause par l’incohérence de leurs projets et la brutalité de leurs espérances. En face de tels adversaires, il n’y avait guère qu’à attendre : se donner le bénéfice du temps, c’était s’assurer celui de la victoire. Mazarin dut celle-ci à son bonheur plutôt qu’à son génie, car il triompha moins de ses ennemis vaincus qu’il ne survécut à ses ennemis suicidés.

Il reste à dire ce que ce ministre fit du pouvoir et à rechercher dans les agitations qui troublèrent la jeunesse de Louis XIV l’explication de la grandeur calme de son règne.


LOUIS DE CARNE.

  1. 3 février 1653.