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de Conti, ce qui constituait à la maison de Condé dans la France d’outre-Loire une situation non moins formidable que celle des grands vassaux du XVe siècle. Après le chef arrivaient les nombreux serviteurs, tous compris dans les profits nets tarifés aux traités signés chez la Palatine. Pour conserver ses amis, il fallait bien que Condé ne trompât pas leurs espérances, si démesurées qu’elles pussent être, et le prince, qui, comme tous les chefs de parti, dépendait des siens bien plus que ceux-ci ne dépendaient de lui-même, enviait parfois le bonheur du duc de Beaufort, qui n’avait eu besoin pour sortir de prison « que d’une échelle. » Après trois ans de malheurs et de ruines, le dernier mot du parti aristocratique, demeuré un moment maître du terrain par la fuite de Mazarin et le découragement de la magistrature, était donc la constitution d’un nouveau duché d’Aquitaine, l’établissement d’un état de choses qui aurait préparé à la France les destinées de l’empire germanique, et le pillage éhonté du domaine et du trésor publics. Telle était la grande charte rêvée par l’aristocratie française, en pleine possession de ses forces et de ses lumières ; tel était l’audacieux démenti donné à huit siècles d’histoire, à vingt générations mortes pour fonder la grande unité nationale.

Les procédés de Condé étaient d’ailleurs en parfait rapport avec ses actes : le prince superbe qui ne paraissait pas devant sa souveraine marchait dans Paris escorté d’une bruyante armée de gentilshommes, et prenait pour sa sûreté des précautions qui d’ailleurs n’étaient pas vaines. Condé, en effet, était à peine sorti de prison que la régente songeait déjà à l’y replacer, et qu’un maréchal de France proposait tout simplement de l’assassiner, ce qui était plus audacieux que coupable dans un temps où les cardinaux de Retz et de Mazarin s’imputaient réciproquement une tentative de même nature.

Cependant, avant de recourir aux armes, la reine et son royal cousin crurent devoir s’adresser au parlement chacun de son côté, tant le prestige de la légalité est puissant et sur les pouvoirs mêmes qui se considèrent comme supérieurs à la loi et sur les factions qui affectent de la mépriser ! Ce grand corps, à bout de courage et d’espérance, se voyait avec une douleur profonde dans l’obligation de se prononcer entre Mazarin, que les magistrats haïssaient comme l’expression la plus impopulaire d’un pouvoir sans contrôle, et Condé, qu’ils redoutaient comme l’ennemi de toutes les grandes conquêtes dont la magistrature avait aspiré à doter la France. Malheureusement des arrêts nouveaux contre le ministre non mieux que des remontrances au prince ne suffisaient plus pour arrêter le sang prêt à couler dans le nouveau duel engagé entre une royauté sans contre-poids